La chute des cours pétroliers qui a démarré au mois d’octobre pèse sur certains producteurs, notamment ceux disposant des coûts de production les plus élevés. En première ligne, les producteurs de pétrole non conventionnel payent le plus lourd tribut. Contrairement aux idées reçues, les producteurs de pétrole de schistes américains ne sont pas les plus vulnérables, ces derniers étant de plus en plus compétitifs grâce à des techniques de fracturation hydraulique toujours plus performantes. Les inquiétudes se portent davantage sur les acteurs canadiens, qui exploitent les immenses gisements de sables bitumineux, principalement situés dans le nord-est de l’Alberta.

En guise de rappel, le Canada se hisse à la quatrième place des producteurs mondiaux en 2017 avec une production de l’ordre de 4,8 millions de barils par jour (mbj), dont la majorité provient des sables bitumineux de l’Alberta (approximativement 3,7 mbj), qui renferme, on le sait peu, les troisièmes plus grandes réserves du globe.

Peu médiatisée, l’industrie pétrolière canadienne traverse une profonde crise liée à un manque d’infrastructure qui l’empêche de vendre son pétrole à des prix "de marché". On peut ainsi parler de double peine pour cette filière, qui cumule d’importants coûts de production pour des prix de livraison très inférieurs aux standards.
  • Des coûts de production significatifs : les hydrocarbures issus des gisements de sables bitumineux nécessitent un long processus pour être extraits. Gourmand en énergie, celui-ci est coûteux puisqu’il nécessite une quantité astronomique de diesel pour faire fonctionner d’énormes machineries et du gaz naturel en abondance pour pouvoir séparer le bitume brut du sable et de l’argile compris dans les gisements. Les seuils de rentabilité sont par conséquent relativement élevés, compris entre 55 et 65 USD le baril (en équivalent WTI) pour les techniques d'extraction les plus économiques.
  • Des prix de livraison bradés : les pétroles provenant des sables bitumineux de l’Alberta sont lourds et très corrosifs. Ils sont effectivement caractérisés par un faible API pour un degré de souffre significatif (voir ci-dessus pour les références Western Canada Select et Cold Lake). Ils sont donc couteux à raffiner, d’où le fait qu’ils se négocient avec des discounts par rapport à des bruts plus légers (pour en savoir plus sur la qualité des pétroles : Pourquoi le Brent est-il plus cher que le WTI ?).
Néanmoins, à ce constat de qualité se juxtapose un problème de logistique qui pèse sur les cours du pétrole canadien. A l’heure actuelle, plus de 95% des exportations de brut canadien sont destinés au marché américain (rappelons que les raffineurs US ont besoin de pétrole lourd pour réaliser des mélanges avec les shales oil, trop légers pour établir leur mix-produit). Or, par manque d’infrastructure et faute de nouveaux pipelines, la province produit plus qu’elle n’exporte. En effet, de nombreux projets de pipelines sont actuellement suspendus, voire tout simplement rejetés. C’est notamment le cas de l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain (qui devait en théorie tripler le flux de pétrole de l’Alberta en direction du Pacifique), stoppé par la Cour d’appel fédérale, ou encore du gigantesque oléoduc Keystone XL (reliant la province canadienne au Golfe du Mexique), de nouveau suspendu par la justice fédérale du Montana.

Par conséquent, les stocks de brut canadiens ont explosé et sont estimés à 35 millions de barils, soit le double des données moyennes. Cette surabondance de pétrole a entrainé une véritable chute des prix des références canadiennes, qui ont frôlé la barre des 10 USD le baril (versus un WTI à 55 USD).
 
 

Le spread entre la référence canadienne et américaine s’est considérablement accru, le WCS se négociant 30 USD de moins que le WTI. 

Face à ce problème de surabondance et à l’incapacité des autorités canadiennes et américaines de mettre sur pied de nouveaux oléoducs, la première ministre de l’Alberta, Rachal Notley, a annoncé l’imposition de quotas de production, mesure temporaire visant à désengorger les stocks nationaux. La production de la province devrait ainsi être coupée de 325.000 mbj, soit une réduction d’environ 10%, une mesure d’envergure justifiée par les pertes de l’économie canadienne, de l’ordre de 60 millions de dollars par jour sur ces niveaux de prix. Le transport ferroviaire de brut canadien, solution plus couteuse mais aussi plus polluante est aussi sérieusement envisagée. Tout est donc mis en œuvre pour sortir l’industrie pétrolière de cette crise, et ce, à n’importe quel prix.