(Répétition sans changement d'une dépêche transmise vendredi)

* La Réserve fédérale moins accommodante que prévu

* Les marchés accusent le coup puis repartent

* La croissance rassure, les résultats aussi

* Les menaces restent cependant présentes

par Patrick Vignal

PARIS, 6 mai (Reuters) - Il a suffi que le président de la Réserve fédérale durcisse à peine le ton pour que les marchés d'actions, qui prolongeaient jusque-là tranquillement le rebond observé depuis le début de l'année, montrent des signes de nervosité.

Avec des records à Wall Street, des surprises positives pour la croissance dans la zone euro et des prévisions du géant Apple supérieures aux attentes, la semaine écoulée avait encore apporté son lot de bonnes nouvelles aux investisseurs quand Jerome Powell a pris la parole mercredi à l'issue de la réunion monétaire de la banque centrale américaine.

La Fed n'a nullement l'intention de toucher à ses taux dans un avenir proche, d'autant moins que l'inflation refuse toujours de décoller, a-t-il dit en substance, surprenant des marchés qui pariaient déjà sur l'hypothèse d'une baisse de taux dans l'année.

"La vraie question est de savoir à quel point le comité de politique monétaire est préoccupé par la dynamique de l'inflation", fait valoir Rick Rieder directeur des investissements obligataires de BlackRock.

"Nous ne pensons pas qu'il devrait l'être tant que ça. Le fait est que l'économie peut croître avec des niveaux plus faibles d'inflation que les normes historiques parce que la technologie et la globalisation pèsent sur la fixation des prix (...) L'inflation est certes en dessous de l'objectif de la Fed mais ce n'est pas forcément une préoccupation en ce qui concerne la politique monétaire."

Contrairement à la perception des investisseurs, Jerome Powell n'a pas vraiment changé de discours, analyse pour sa part Keith Wade, chef économiste de Schroders.

"La Fed reste neutre et sa prochaine décision sera certainement une baisse des taux, mais pas avant l'année prochaine", prévoit-il.

Le président de la Fed, dont la communication est parfois mal comprise par les marchés, a vu sa posture justifiée vendredi par le rapport mensuel du département du Travail, qui a montré que les créations d'emploi avaient été supérieures aux attentes aux Etats-Unis en avril et que le taux de chômage était tombé à un creux de plus de 49 ans à 3,6%.

L'économie américaine demeure robuste, suggèrent ces chiffres, qui ont été accueillis sans émotion par les marchés mais plaident clairement contre une baisse des taux à court terme.

LE REBOND SE POURSUIT

La petite respiration observée mercredi et jeudi sur les marchés ne remet pas en cause un optimisme général mesuré mais réel et les indices boursiers ont très vite quitté la zone rouge.

La volatilité et les volumes se maintiennent cependant à de bas niveaux, les flux sortants sur les actions se confirment et le CAC 40 parisien n'a pas connu de séance avec une hausse supérieure à 1% depuis le 1er avril.

"Le marché, sur les dernières semaines, reste haussier mais il y a une absence inquiétante d'investisseurs", résument les analystes de Saxo Banque.

Les catalyseurs restent pourtant en place, notamment l'espoir d'un accord commercial entre les Etats-Unis et la Chine ainsi que la promesse des banques centrales de demeurer accommodantes malgré la vigueur persistante de l'économie, avec le petit bémol que vient de faire entendre la Fed.

Depuis le début de l'année, et contrairement aux prévisions de nombreux observateurs, les actifs risqués relèvent la tête et le plongeon de la fin de l'année dernière, caractérisé par la peur d'une récession sur fond de hausse de taux, paraît bien loin.

"Le rattrapage est historique", note Nicolas Chéron, responsable de la recherche marchés pour Binck.fr.

"Les marches sont passes d'un exces de pessimisme a un optimisme exacerbe, les risques de recession sont semble-t-il ecartes, la macroeconomie repart, du moins c'est ce qu'on essaie de nous faire croire. Et comme si cela ne suffisait pas, les banquiers centraux ont devoile le grand jeu avec des politiques de taux bas eternels et des promesses d'interventionnisme."

DES MARCHÉS TROP COMPLAISANTS

Pour Nicolas Chéron et d'autres, les risques caractéristiques d'une fin de cycle et annonciateurs de l'entrée des marchés dans une phase baissière sont loin d'avoir disparu.

"Un choc a eu lieu avant d'etre annihile mais la donne n'a pas change pour autant", analyse l'expert de Binck.fr. "Nous voila de nouveau sur des niveaux de valorisation, de surachat et de complaisance qui depassent l'entendement, si tant est que l'on accepte le postulat d'une fin de cycle ineluctable et proche (dans les trimestres a venir)."

Si les oiseaux de mauvais augure ont des arguments à faire valoir, les optimistes incurables n'en manquent pas non plus.

Comme celle des Etats-Unis, la croissance de la zone euro a ainsi rebondi plus fortement que prévu au premier trimestre, qui a vu l'économie italienne de sortir de la récession.

Même l'inflation paraît sortir de sa torpeur dans l'union monétaire : en Allemagne, la hausse des prix à la consommation a atteint 2,1% sur un an en avril, passant au-dessus de l'objectif de la Banque centrale européenne (BCE) pour la première fois depuis novembre.

Et si le risque politique reste présent, il ne provoque pas de bouleversements sur les marchés, comme en témoigne la réaction modérée à l'absence de majorité pour les socialistes espagnols à l'issue des législatives, sans parler de l'étrange sérénité des investisseurs à l'approche d'élections européennes pourtant lourdes d'enjeux.

DES TAUX BAS POUR LONGTEMPS

Autre soutien pour les actions, la saison de résultats en cours montre que les bénéfices des entreprises résistent mieux que prévu, notamment aux Etats-Unis, où ils sont désormais attendus en hausse de 0,7% en moyenne au premier trimestre pour les composants du S&P-500, contre un repli de 2% anticipé début avril, selon les données de Refintiv.

Certains poids lourds de la cote ont bien été sanctionnés, notamment Microsoft, qui a chuté de 9% après avoir publié un chiffre d'affaires inférieur aux attentes, mais d'autres ont été très entourés, à commencer par Apple, qui a pris près de 5% après avoir dévoilé des prévisions de chiffre d'affaires au troisième trimestre supérieures aux attentes des analystes.

Les craintes pour l'économie mondiale n'ont pas disparu pour autant et il faudra surveiller lundi les résultats des enquêtes PMI sur l'activité des services en Chine et dans les économies de la zone euro. Les prévisions économiques que publiera le lendemain la Commission européenne seront également étudiées de près par les intervenants de marché.

Quant aux banques centrales, elles resteront sous surveillance et ont certainement encore des efforts à faire pour habituer les marchés à ce qui ressemble à un changement de régime de long terme, avec une inflation moins dynamique et des taux plus bas.

Pendant que Jerome Powell ouvrait la voie en ce qui concerne l'inflation, le vice-président de la BCE montrait le chemin du côté des taux.

"L'environnement de taux bas se maintiendra dans un avenir prévisible et s'explique en grande partie par des facteurs structurels durables", a déclaré mercredi à Londres Luis de Guindos.

"Même lorsque la politique monétaire se normalisera, les taux d'intérêt devraient se maintenir en dessous des niveaux habituels au cours des décennies précédentes". (édité par Marc Joanny)

Valeurs citées dans l'article : Apple, Microsoft Corporation