Paris (awp/afp) - Toujours en garde à vue au Japon sur des soupçons de malversation, Carlos Ghosn est sur le point d'être démis de ses fonctions à la tête de Renault, une chute brutale suscitant des interrogations sur l'avenir de l'empire automobile qu'il a construit en mariant Renault, Nissan et Mitsubishi Motors.

Le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire a demandé mardi à Renault, dont l'Etat détient 15%, de mettre immédiatement en place une gouvernance intérimaire puisque "M. Ghosn est aujourd'hui empêché de diriger l'entreprise".

Le conseil d'administration de Renault, qui doit se réunir dans la soirée, devrait confier les rênes du constructeur à un tandem intérimaire formé par l'administrateur référent Philippe Lagayette et le numéro deux du groupe automobile Thierry Bolloré, a-t-on appris de source proche du dossier.

Le conseil d'administration de Nissan se prononcera lui sur le limogeage de son président jeudi matin. Mitsubishi Motors (MMC) entend également le "démettre rapidement".

Lâché de toutes parts, Carlos Ghosn, qui était considéré à 64 ans comme l'un des plus puissants capitaines d'industrie au monde, est toujours détenu à Tokyo, où il a été arrêté lundi en descendant de son jet privé.

Le parquet japonais reproche au Franco-libano-brésilien d'avoir "conspiré pour minimiser sa rétribution à cinq reprises entre juin 2011 et juin 2015", en ne déclarant que 4,9 milliards de yens (environ 37 millions d'euros au cours actuel) contre près de 10 milliards de yens sur la période.

Dans une conférence de presse d'une brutalité hors norme, le président exécutif de Nissan, Hiroto Saikawa, a également mentionné lundi "de nombreuses autres malversations, telles que l'utilisation de biens de l'entreprise à des fins personnelles", qui auraient été découvertes après plusieurs mois d'enquête interne.

Il aurait en outre, selon la chaîne publique NHK, empoché des sommes déclarées au nom d'autres administrateurs.

La rémunération de ce patron aussi puissant que secret a déjà donné lieu à bien des polémiques, tandis que son train de vie a également pu susciter des commentaires, à l'image par exemple de sa réception de mariage en grande pompe au château de Versailles en 2016.

Carlos Ghosn touchait quelque 15 millions d'euros par an au titre de ses diverses fonctions, un montant particulièrement élevé pour un industriel européen ou japonais, bien que très éloigné des faramineux salaires versés par exemple dans la finance aux Etats-Unis.

Fragile équilibre

Au-delà du sort personnel de M. Ghosn, c'est toute l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors, dont il orchestrait le fragile équilibre, qui tangue suite à ce coup de tonnerre.

Il n'y a qu'à entendre les mots très durs du patron de Nissan, M. Saikawa, contre celui qui fut son mentor, et une figure très respectée au Japon: "C'est un problème que tant d'autorité ait été accordée à une seule personne", a-t-il lâché, dénonçant "le côté obscur de l'ère Ghosn".

"Il est cupide. A la fin, ce n'est qu'une question d'argent", lançait aussi un responsable de Nissan dans le quotidien Yomiuri. "Il demandait à ses subordonnés de remplir des objectifs difficiles, mais lui-même continuait à percevoir un salaire élevé même quand les activités de Nissan n'allaient pas si bien", ajoute le journal.

L'affaire survient au moment où le PDG de l'ensemble aux 10,6 millions de véhicules travaillait à rendre les liens "irréversibles" entre Renault et Nissan, a commenté dans une note Kentaro Harada, analyste chez SMBC Nikko Securities.

"Nous ne pouvons pas exclure la possibilité que l'alliance se retrouve affaiblie". "Cela va-t-il changer l'équilibre du pouvoir (entre les parties française et japonaise), c'est la principale question", souligne-t-il.

L'agence de notation Standard and Poor's a d'ailleurs annoncé mardi qu'elle envisageait de baisser la note de la dette à long terme de Nissan, en raison en particulier des doutes autour de ce mariage à trois. De son côté, Renault tentait de se montrer rassurant, affirmant mardi soir vouloir continuer à faire progresser son alliance avec ses partenaires.

De même, les gouvernements français et japonais ont réaffirmé mardi dans un communiqué commun leur "important soutien" à l'alliance entre les constructeurs Renault et Nissan.

A Paris, le titre Renault a terminé sur un recul de 1,19%, après avoir déjà dévissé de plus de 8% lundi.

Les actions des constructeurs japonais ont souffert mardi à Tokyo, clôturant en baisse de 5,45% pour Nissan et de 6,84% pour MMC.

afp/rp