Pas besoin d'être un grand devin pour imaginer que la division Skin Health de Nestlé allait quitter le navire. Dès son arrivée aux commandes du géant suisse, Paul Bulcke avait clamé haut et fort qu'il n'y aurait aucun tabou sur le reformatage du groupe. L'une des principales missions de son mandat était d'ailleurs de rationaliser l'entreprise pour lui permettre de renouer avec la croissance et d'optimiser l'allocation de ses copieuses ressources. En annonçant ce matin qu'il va "explorer des options stratégiques" pour Skin Health, Nestlé ne prend même pas la peine d'envisager un maintien de l'activité dans le périmètre.
 
De quoi Skin Health est-il le nom ?
 
Dans le catalogue Nestlé, tout se mange ou se boit, ou presque. Ce presque, c'est essentiellement la division Skin Health, née en 2014 de la réunion de plusieurs activités liées à la dermatologie. Elle a été bâtie à partir de Galderma, une entité créée en 1981 par Nestlé et L'Oréal, alors copropriétaires. Il y a quatre ans, face au ralentissement de la croissance du laboratoire, Vevey avait choisi l'offensive. Non seulement Nestlé avait négocié la reprise des 50% de L'Oréal, alors que Galderma semblait a priori plus proche du cœur de métier du Français, mais encore lui avait-il adjoint sa petite structure de soins pour la peau des bébés Bübchen et les droits exclusifs de commercialisation de plusieurs produits esthétiques rachetés 1,4 milliard de dollars à Valeant. Nestlé Skin Health était né.
 
Quatre ans plus tard, malgré cette riche dotation de départ, la division n'a pas renoué avec une croissance historique qui aurait pu contribuer à la maintenir dans le périmètre. Elle a même pesé lourdement, au niveau comptable, sur les résultats et le bilan 2017 de Nestlé, qui a dû intégrer une perte de valeur du goodwill de 2,8 milliards de francs, car les promesses des opérations de 2014 sont (très) loin d'avoir été tenues. La maison-mère avait commencé à envoyer des signaux négatifs il y a plusieurs mois, en annonçant les fermetures de l'usine suisse d'Egerkingen (ex-Spirig) et du laboratoire de recherche français de Sophia-Antipolis.
 
Une valeur de 4 milliards de francs, "grosse maille", ou plus ?
 
Compte-tenu de l'absence de synergies avec le reste du groupe, la présence de Skin Health dans le périmètre était contestée depuis longtemps par les analystes et certains actionnaires. Sa mise en vente apparaît logique aux professionnels. "J'y vois une évolution importante et positive, à la fois en tant que telle et parce qu'elle montre que Nestlé est capable de tuer les vaches sacrées pour accroître la valeur offerte aux actionnaires", explique l'analyste Martin Deboo, de la banque Jefferies. Il juge que le périmètre pourrait valoir 4 milliards de francs, mais son estimation est tout à fait empirique : il a repris le multiple de chiffre d'affaires de l'opération réalisée en 2014, soit 1,5 fois le chiffre d'affaires de Galderma environ. Les 2,7 milliards de francs de revenus actuels donneraient donc un peu plus de 4 milliards de francs. Mais d'autres valorisations circulent. 4 à 5 milliards de francs pour un autre analyste, voire 6 à 8 milliards chez un troisième. Quasiment du simple au double. Il faudra laisser la poussière retomber et bien intégrer tous les paramètres. Une chose est sûre, la division est moins rentable qu'elle ne l'était il y a quatre ans. 
 
Reste à trancher la question du repreneur. Deboo a deux idées. Soit un fond d'investissement, ce qui manque singulièrement d'originalité et qui constituerait, a priori, un scénario susceptible d'effrayer les 5 000 salariés. Soit L'Oréal, une hypothèse nettement plus cocasse et sans doute plus favorable aux équipes, car "industrielle" : il est plus aisé de dégager des synergies avec un acteur du secteur qu'avec un actionnaire purement financier, qui serait plus enclin à trouver les sources d'économies dans la masse salariale. Le Français a, depuis 2014, opéré sa mue et dispose de la force de frappe nécessaire. Skin Health pourrait intéresser L'Oréal, poursuit l'analyste, car l'ancien co-actionnaire affiche de bonnes performances avec sa division "Cosmétique Active". A contrario, il faudrait sans doute surmonter une certaine prudence vis-à-vis de la dermatologie de prescription et, bien sûr, accepter de récupérer un actif cédé quatre ans plus tôt. Mais si Nestlé fait table rase du passé, il n'y a aucune raison pour que L'Oréal n'en soit pas capable, conclut Martin Deboo.
 
D'autres actifs sont à risque
 
Une fois la vente de Skin Health bouclée, Nestlé aura réalisé un pas important dans le recentrage sur son cœur de métier. Mais les analystes cherchent, déjà, à percer le prochain mouvement. Nous mettrons de côté pour l'instant la question de la participation dans L'Oréal, qui n'est pas un actif industriel mais un placement financier qui a, depuis l'origine, affiché des rendements si extraordinaires que même Paul Bulcke le réformateur doit hésiter (à ce propos, et sans vous commander, lisez-ceci). Les 23,2% détenus par Nestlé dans le groupe de cosmétiques valent 26 milliards d'euros actuellement. Dans le portefeuille actuel, certaines branches affichent des performances inférieures à la moyenne du groupe. "Je pense que c'est à Nestlé de prouver que les actifs les moins performants peuvent être redressés", commente l'analyste de Baader Helvea Andreas von Arx. Il songe notamment à la confiserie européenne, aux surgelés, aux glaces et aux eaux américaines, mais aussi à Herta et Thomy. A défaut, ils seraient sans doute les prochains à quitter le navire.