"Comprenez-vous le scepticisme que certains observateurs arborent vis-à-vis de la macroéconomie japonaise ?
Si l’on se fie uniquement aux divers chiffres publiés, on peut avoir le sentiment que la situation actuelle au Japon est catastrophique.
Toutefois, à la lumière des contacts réguliers avec les entreprises japonaises dans le cadre de notre processus d’investissement, c’est une tout autre image que nous avons, totalement différente de celle véhiculée par la presse internationale. Dis autrement, notre sentiment sur la situation au Japon n’est pas si mauvais.

Au-delà de la morosité de la croissance, est pointé du doigt l’atonie de l’inflation malgré une politique monétaire extrêmement agressive conduite par la Banque centrale du Japon…
Si l’on exclut l’énergie et les denrées alimentaires, il y a de l’inflation au Japon, entre 0,5% et 1%. De nombreuses entreprises japonaises ont été en mesure d’augmenter leurs prix depuis deux ans.

Mais la condition à remplir pour que cette inflation soit pérenne et gagne en intensité est celle d’une revalorisation des salaires ? Beaucoup d’experts s’inquiètent de ne pas la voir apparaitre...

Il y a d’ores et déjà une revalorisation des salaires. Si l’on multiplie le salaire de chaque travailleur par le nombre d’employés, on s’aperçoit que les salaires des ménages, ajustés de la hausse de la TVA, sont en nette amélioration pour la première fois depuis le second semestre 2014.

Pourtant la moyenne des salaires ne croit pas ?

Cette moyenne est faussée par la vague de femmes japonaises qui sont retournées sur le marché de l’emploi, pour beaucoup en temps partiel. En outre, une multitude de travailleurs seniors sont partis en retraite et ont été remplacés par des travailleurs juniors qui gagnent un salaire bien moindre.

Quel regard portez-vous sur la santé des entreprises japonaises ?

Les entreprises japonaises sont en bonne santé. Entre mars et décembre 2015, le chiffre d’affaires enregistrait une hausse de 2% et le bénéfice opérationnel une progression de 15%. Pour le seul troisième trimestre, les variations sont de respectivement +1% et +10%.

Selon vous, les sociétés japonaises sont plus portées sur l’écoute des actionnaires ?
Quand nous allons les voir, le management de ces sociétés n’hésite pas à nous demander des conseils, des suggestions sur les opérations financières qu’ils doivent effectuer : rachat d’actions, augmentation de la distribution des dividendes…
Une société comme Fanuc, traditionnellement très fermée, a dernièrement annoncé l’ouverture d’un département de relation avec les investisseurs et fait état de rachats d’actions et de hausses du dividende à venir.

Avec les taux d’intérêt négatifs et le cash disponible dans les bilans, nous nous attendons à ce que les sociétés japonaises fassent plus de rachat d’actions, distribuent plus de dividendes, et s’aventurent davantage dans des opérations de croissance externe afin de renforcer leur position dans plusieurs domaines phares à travers le monde.

Nous irions donc vers une multiplication de fusions-acquisitions transfrontalières ?
Absolument.

Ces opérations pourraient être financées par de la dette ?

Marginalement seulement. Les sociétés japonaises commenceront par utiliser leur trésorerie très abondante.

De quelle ampleur est cette trésorerie ?

Nous nous situons à un pic si l’on considère ces vingt dernières années. Cette trésorerie est confortée par le très bas niveau des prix des matières premières et la baisse de l’impôt sur les sociétés orchestré par le gouvernement Abe.

En dépit de la politique monétaire ultra accommodante menée par la BoJ, la valeur du yen s’est beaucoup appréciée depuis le début de l’année. Tablez-vous sur une poursuite de cette appréciation ? Quels impacts doit on attendre sur les résultats des entreprises ?

Il très difficile de se prononcer avec exactitude sur l’orientation que prendra le yen au cours des mois à venir. D’après ce que je peux lire dans les différents commentaires faits sur le sujet, il est probable que la parité dollar yen reste pour un moment dans une fourchette de 110 à 115.
Pour l’heure les perspectives des résultats des sociétés japonaises sont établies à partir d’une parité de 105-110. Si la parité se stabilise autour de 110, les résultats de l’année 2016 ne seront pas fortement impactés.
Si en revanche, la parité descend en dessous de 105, les répercussions notamment sur le chiffre d’affaires de certaines entreprises pourraient être plus significatives.
A présent, le management des sociétés japonaises est traditionnellement très prudent dans ses prévisions. Nous pouvons penser que des révisions non négligeables seront faites pour les résultats de mars 2017. Pour autant nous ne sommes pas inquiets à ce sujet. Nous sommes positionnés sur des entreprises japonaises qui de par leurs fondamentaux ne devraient pas être excessivement affectées par l’appréciation de la devise.
En outre, face à la force du yen, nous anticipons de la part des sociétés japonaises des mesures de restructuration ciblées en vue d’améliorer leur profitabilité.

Que voulez-vous dire ?

Les sociétés japonaises ont eu à traverser des périodes de yen fort au cours desquelles elles se sont efforcées de mener des réorganisations en délaissant les activités non profitables pour se concentrer sur les activités plus rentables. Celles-ci devraient être amenées à réitérer l’exercice.

En quoi consiste votre stratégie d’investissement ?

Nous cherchons des sociétés qui ont des barrières à l’entée importantes. Beaucoup de sociétés de notre portefeuille ont de vastes parts de marché global ou de marché domestique, entre 50% et 90%.

Comment sélectionnez-vous les sociétés qui composent votre portefeuille ?

Etant investi sur ce marché depuis longtemps nous avons appris à connaitre les sociétés. Nous nous efforçons d’aller sur des valeurs qui ne sont pas massivement plébiscitées.

Avez-vous des critères en termes de capitalisation ?

Nous sélectionnons des titres au-delà d’une capitalisation boursière de 1 milliards de dollars. A travers notre équipe d’analystes à Tokyo nous trouvons beaucoup d’opportunité dans les valeurs mid-caps jusqu’à 10 milliards de dollars de capitalisation boursière. Il faut comprendre que beaucoup de ses valeurs n’ont que très peu de couverture sell side. On se distingue à travers notre propre recherche sur place.

Votre portefeuille se veut très concentré ?

Nous avons un portefeuille de convictions. Il se compose actuellement de 37 titres. 30% de ces titres sont détenus depuis plus de 5 ans. Nous avons des valeurs depuis 10 ans, comme Sysmex, spécialiste de l’hématologie qui a un business model rentable tant en période de yen fort que de yen faible.

Quels sont vos biais en termes de thématiques d’investissement ?
Une première thématique est celle du vieillissement de la population. Nous avons investi dans cette optique dans Nihon M&A, une société qui joue les intermédiaires entre les PME qui n’ont pas de successeurs et des acheteurs éventuels. De nombreux dirigeants de PME au Japon sont devenus âgés et n’ont pas à leur disposition une personne pour reprendre les rênes de leur entreprise. La position de Nihon M&A est quasi oligopolistique et est très prospère, avec une hausse des résultats de 37% annualisé ces cinq dernières années.
Dans cette même thématique nous détenons des sociétés du secteur pharmaceutique, comme SugiHolding, et des sociétés de biens de consommation comme Unicharm spécialiste dans la fabrication des couches pour personnes âgées.

Dans la thématique de l’internet, nous avons une position sur M3, une sorte de Bloomberg pour les professionnels de santé qui a 70% de parts de marché au Japon et 50% de parts de marché aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Chine.

Quel potentiel de performance renferme le marché des actions japonaises cette année ?

Difficile de le dire. Ce qui est certain c’est que le marché bénéficie de vents porteurs. Depuis un an, les investisseurs domestiques reviennent abondamment. Les fonds de pension japonais sont également mobilisés. Au-delà du GPIF qui a investi 21% de ses encours en actions contre un objectif de 25%, d’autres grands acteurs, tels que Japan Post Bank et la Japan Insurance, sont censés graduellement augmenter leur part actions dans un contexte de taux négatifs. Ces fonds de pension ont présentement seulement 1% de leurs positions sur les actions.

Quel risque principal identifiez-vous pour le marché ?

Le marché, perçu à tort comme un marché de trading emprunt d’une vive volatilité, dépend beaucoup des nouvelles de l’extérieur provenant de la Chine, des Etats-Unis…
Nous nous efforçons de nous immuniser contre ces violentes fluctuations en allant chercher des niches qui peuvent fonctionner sur le long terme. C’est ainsi que nous sommes parvenus à surperformer notre indice de référence de 8% depuis le début de l’année et de 6% par an sur une période de cinq ans (au 15/4/2016).
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