Cependant, dans un communiqué publié vendredi, Renault a démenti toute divergence au sein de son conseil d'administration, ajoutant que ce dernier n'avait pas non plus "examiné la succession éventuelle de M. Carlos Ghosn".

Réunis jeudi, les administrateurs ont pris connaissance de certains éléments de l'enquête de Nissan, qui a conduit à l'arrestation surprise de Carlos Ghosn, inculpé lundi au Japon pour avoir minoré de près de moitié entre 2010 et 2015 ses revenus au Japon.

Si le constructeur japonais a évincé Carlos Ghosn de sa présidence trois jours après son arrestation, Renault l'a en revanche officiellement maintenu à son poste de PDG, tout en installant une direction provisoire.

Renault a confirmé cette décision jeudi, avec Philippe Lagayette occupant le poste de président du conseil d'administration, et Thierry Bolloré, directeur général adjoint promu aux mêmes fonctions exécutives que Carlos Ghosn.

Dans un communiqué initial diffusé juste après son conseil, Renault avait dit "ne pas disposer à ce stade d'informations portant sur les éléments de défense de Carlos Ghosn".

Mais, durant cette réunion de cinq heures, plusieurs membres du conseil d'administration emmenés par Cherie Blair, épouse de l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair, ont cependant commencé à exprimer leur impatience face à cette position, ont dit deux personnes informées des débats.

"Ce qu'elle a dit, de fait, c'est qu'on ne peut pas rester éternellement dans cette situation", a dit l'une des sources au sujet de Cherie Blair. "A un moment donné, il faut aller de l'avant et faire quelque chose."

Dans son communiqué Renault souligne cependant que Philippe Lagayette "dément les rumeurs de presse faisant état de divergences au sein du conseil à l'occasion de sa séance ordinaire tenue le 13 décembre 2018".

Dans une déclaration envoyée vendredi à Reuters, Cherie Blair se dit "attristée par la violation de la confidentialité des réunions du conseil d'administration, en particulier en ce qui concerne votre description totalement inexacte de ma contribution".

Elle ajoute : "Je peux confirmer que moi-même, ainsi que d'autres membres du conseil d'administration, avons posé plusieurs questions aux avocats de Renault concernant leur connaissance du système judiciaire japonais, leur estimation de la durée de la détention de M. Ghosn, et leur meilleure estimation du moment où M. Ghosn sera disponible pour reprendre ses fonctions."

DIDIER LEROY, DE TOYOTA, PARMI LES PISTES ENVISAGÉES

Les responsables français ont commencé à dresser une liste de candidats possibles pour remplacer Carlos Ghosn, ont dit trois sources proches du constructeur.

"Il n'y a rien d'officiel pour le moment mais le gouvernement travaille sur une liste", a dit une source. "Ils sont prêts à tourner la page."

Un responsable du ministère français des Finances a refusé de s'exprimer sur le sujet. L'Etat français, le premier actionnaire de Renault avec une participation de 15% disposant de deux sièges au conseil, a généralement un rôle de premier plan dans la désignation d'un successeur.

Didier Leroy, vice-président exécutif de Toyota, va faire partie des pistes envisagées, a dit l'une des sources.

"Je n'ai aucun commentaire à faire sur des rumeurs et je suis concentré à 100% sur mon travail chez Toyota", a dit Didier Leroy à Reuters.

L'arrestation de Carlos Ghosn a fragilisé l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, le directeur général de Nissan Hiroto Saikawa appelant de ses voeux des mesures pour affaiblir le poids de Renault.

Le constructeur français détient 43,4% de Nissan qui, de son côté, a 15% de Renault mais aucun droit de vote. Nissan contrôle à son tour Mitsubishi via une part de 34%.

Deux autres administrateurs indépendants et des représentants du personnel de Renault ont fait écho aux propos de Cherie Blair lors de la réunion de jeudi, ont dit deux sources, ajoutan que certains avaient aussi émis des critiques sur la gestion de la crise par la direction de Renault.

AGGRAVATION DES TENSIONS

Au risque d'aggraver les tensions, Thierry Bolloré avait demandé à Nissan de cesser de contacter les administrateurs du groupe français au sujet de son enquête interne sur Carlos Ghosn avant son conseil d'administration, avait rapporté mardi Reuters alors que le groupe japonais voulait faire connaître les résultats de son enquête.

Les administrateurs se sont par ailleurs querellés avec les dirigeants de Renault au sujet de leur droit de faire appel à des avocats indépendants ayant accès à l'enquête de Nissan, ont dit deux autres sources.

Les avocats de l'entreprise dépendant de Mouna Sepehri, qui est à la fois secrétaire du conseil et à la tête du bureau de Carlos Ghons, ont jusqu'ici refusé de communiquer le rapport de Nissan avec les administrateurs ou leurs avocats, au nom du secret des investigations.

Philippe Lagayette s'est efforcé de minimiser l'existence de tensions.

"Le conseil d'administration, contrairement à certaines allégations de presse, a félicité le management de l'entreprise pour son implication et sa gestion efficace dans la situation actuelle", a-t-il dit.

Sous la pression du gouvernement français, Carlos Ghosn avait cherché à approfondir l'alliance, voire à imaginer une fusion complète entre ses composantes et ce malgré les réticences de Nissan.

(Avec Gilles Guillaume; Bertrand Boucey pour le service français, édité par Benoît Van Overstraeten)

par Laurence Frost