Tokyo (awp/afp) - Avec un vaste remaniement de son conseil d'administration, Nissan change d'ère et fait un geste envers Renault en acceptant à sa table le directeur général du groupe au losange, Thierry Bolloré. Un aveu en creux de sa position affaiblie par l'affaire Carlos Ghosn et de très mauvais résultats.

C'est l'aboutissement d'un processus lancé dans la foulée de l'arrestation, en novembre à Tokyo, de son ancien capitaine sur des soupçons de malversations financières. Le groupe, blâmant une gouvernance défaillante qui n'a pas su empêcher ce qu'il qualifie de main-mise et dérive de M. Ghosn, avait promis de revoir sa structure.

Le conseil va donc être élargi à 11 membres, dont un nombre d'administrateurs externes plus que doublé, et Renault représenté par son tandem dirigeant.

Cette composition doit encore être approuvée par les actionnaires, au cours d'une assemblée générale prévue fin juin.

La réforme cependant n'est pas radicale: malgré les critiques, Hiroto Saikawa, ancien fidèle de M. Ghosn, qui a retourné sa veste et se trouve seul aux commandes exécutives depuis 2017, a l'intention de rester à son poste.

Keiko Ihara, ex-pilote de course qui a chapeauté les travaux avec d'autres administrateurs indépendants, a reconnu qu'il y avait eu "un débat très animé".

"Stabilité"

Au final, "le vote a été unanime", a-t-elle assuré. "Il y a eu des fautes commises et la direction devrait être tenue responsable, mais cela veut-il dire qu'il faut changer tout le monde?", a-t-elle lancé.

"Plutôt que de passer le relais maintenant", le maintien de M. Saikawa "permet d'assurer d'une certaine stabilité" au moment où Nissan traverse une très mauvaise passe, a expliqué Mme Ihara.

L'autre décision délicate portait sur le cas Bolloré. "Quand Renault a proposé son nom, nous avons discuté attentivement pour voir si cela posait un problème de conflit d'intérêts et un souci pour l'indépendance de Nissan", a souligné l'administratrice.

Les doutes ont été écartés et cette nomination "va renforcer l'alliance", a-t-elle jugé.

Thierry Bolloré va ainsi rejoindre le président du conseil d'administration du groupe français, Jean-Dominique Senard, dont la nomination a déjà été approuvée début avril par une AG extraordinaire.

Selon une source proche du dossier, "c'est une importante concession, étant donné que la direction de Nissan a très peu confiance en M. Bolloré".

Ce dernier a en effet longtemps soutenu Carlos Ghosn, suscitant l'incompréhension et l'ire de Nissan dont une enquête interne est à l'origine de la chute du magnat de l'automobile.

Une autre source précise que M. Senard, qui a lui-même montré sa bonne volonté en renonçant à la présidence de Nissan, "a poussé pour cette nomination face aux Japonais qui refusaient au début".

"Pour Renault, l'enjeu est d'avoir au conseil d'administration, à côté de M. Senard, un bon connaisseur du dossier, quelqu'un qui a du poids et sera aligné sur les mêmes positions", ajoute cette personne.

Dialogue de sourds

Il s'agit d'une proposition de "bon sens", abonde une source proche de Renault, espérant que "cela permette un rapprochement des équipes opérationnelles".

La relation entre les deux groupes a viré au dialogue de sourds depuis l'éviction de M. Ghosn, bâtisseur et ciment de l'alliance franco-japonaise née en 1999. Sous le coup de quatre inculpations par la justice japonaise, il est actuellement assigné à résidence à Tokyo dans l'attente d'un procès pas prévu avant plusieurs mois.

Après une accalmie de quelques semaines, les tensions sont reparties de plus belle en avril du fait de la réouverture par Renault d'un dossier d'intégration dont ne veut pas Nissan. Des fuites dans la presse ont provoqué la colère des dirigeants de Renault, pour qui ces discussions informelles se voulaient amicales.

Mardi, à l'occasion de l'annonce des résultats financiers annuels, M. Saikawa a reconnu "des différences d'opinion" avec Renault sur l'avenir de l'alliance mais, selon lui, M. Senard juge lui aussi prématurées de telles négociations.

"Nissan doit pleinement se concentrer sur son redressement", en premier lieu aux Etats-Unis, a-t-il insisté.

Autre gage de transparence, le constructeur a porté à sept le nombre d'administrateurs externes (dont deux femmes).

Les deux anciens de Renault, Jean-Baptiste Duzan et Bernard Rey, qui siégeaient de manière indépendante, quittent leur poste.

Parmi les nouveaux venus figurent Bernard Delmas, président de Nihon Michelin Tire et ancien président de la Chambre de Commerce et d'Industrie (CCI) au Japon, ou encore Andrew House, ex-président de Sony Interactive Entertainment.

afp/jh