Le régulateur français des télécoms a changé son fusil d'épaule sur la consolidation sectorielle, c’est-à-dire le passage de quatre à trois acteurs dans l'hexagone, par le rachat ou le démantèlement d'un opérateur au profit des trois autres. Le président de l'Arcep, Sébastien Soriano, a clairement indiqué ce matin dans un entretien accordé au 'Monde' que le tabou est levé, car l'institution considère qu'Orange, SFR (Altice), Bouygues Telecom (Bouygues) et Free (Iliad) ont rempli leur part du contrat en renforçant leurs investissements. "Sur la consolidation, l'Arcep a refermé cette porte en avril 2016", a souligné Soriano, mais "les circonstances ont évolué et la porte de l'Arcep se rouvre ou du moins s'entrouvre". Le patron du gendarme des télécoms conditionne toutefois un éventuel aval à "un projet créateur de valeur pour le pays, et pas simplement pour les actionnaires".

L'Arlésienne

Le scénario de consolidation revient régulièrement sur la table. Il implique principalement l'absorption d'un acteur par un autre, voire la disparition d'un opérateur par tout autre moyen, comme la reprise de ses actifs par deux ou trois de ses concurrents.

Au cours des dernières années, Bouygues Telecom, à l'époque où il était affaibli par l'arrivée de Free dans le mobile, est souvent apparu comme le maillon faible susceptible d'être croqué. Mais la filiale du groupe de BTP a depuis relevé la tête et c'est SFR qui a pris sa place sur l'échiquier, un sentiment renforcé par les soucis traversés par sa maison-mère Altice. Mais là encore, les efforts accomplis par l'ancienne division téléphonie de Vivendi semblent avoir porté leurs fruits et ses derniers chiffres laissent penser qu'elle a remonté la pente. En tout cas, SFR n'est plus aussi fragile que sur la période 2016 / 2017. Comme la roue tourne vite dans le secteur, c'est Free qui est actuellement à la peine, avec des performances commerciales fort décevantes au cours des deux derniers trimestres écoulés. Mais sans doute pas au point d'en faire la victime naturelle de la consolidation. Compte tenu de son statut de leader et d'ancien opérateur historique, Orange n'est pas en position d'être absorbé, mais sa taille limite aussi son statut de prédateur éventuel…

La spirale de la guerre commerciale

La situation est donc complexe et un statu quo n'est pas impossible. Le flot de rumeurs qui a émergé ces dernières années tend à prouver que tout le monde discute avec tout le monde. A la Bourse de Paris le 22 mai, le revirement de l'Arcep dope le secteur : +4,6% pour Iliad, +3,5% pour Bouygues, +3,1% pour Orange et +53,6% pour Altice, dont la variation est biaisée par la distribution d'actions Altice USA au profit des actionnaires d'Altice NV (pour un décryptage, c'est par ici). Les financiers retiennent surtout qu'une éventuelle réduction du marché à trois opérateurs contribuerait à atténuer la guerre commerciale sans merci que se livrent les quatre acteurs, qui contribue à faire de la France l'un des pays où les services télécoms sont parmi les plus bas des pays occidentaux. Mais quand il évoque un "projet créateur de valeur pour le pays", Sébastien Soriano songe sans doute au maintien d'une concurrence vertueuse susceptible de garantir aux consommateurs des conditions intéressantes.

A ce titre, la France est plutôt bien placée avec des tarifs très compétitifs pour les utilisateurs. Pas les plus bas du marché, mais très bien placés parmi les grandes économies de la planète. La dernière étude de Rewheel research publiée le 1er mai dernier, réalisée sur la base des conditions tarifaires d'avril 2018, signale clairement que les Français ne paient pas cher pour leurs consommations internet. Le graphique ci-dessous, basé sur les forfaits smartphone, montre qu'un Français peut accéder à 120 GB de données en 4G pour 30 euros. C'est le plus haut niveau plafonné disponible sur les pays de l'OCDE et l'UE. Les dix pays mieux placés proposent des flux illimités (Bulgarie, Pays-Bas, Finlande, Croatie, Suisse, Lituanie, Slovaquie, Lettonie, Danemark et Estonie). Pour un prix identique, un Allemand n'a que 15 GB, un Américain n'a que 10 GB, un Japonais 6 GB et un canadien 2 GB.
 

Combien un propriétaire de smartphone peut-il consommer de Gigabit (GB) avec 30 euros en avril 2018 ? (source Rewheel, cliquer pour agrandir)

Le passage de quatre à trois opérateurs n'est pas forcément bien vu des autorités, et les chiffres ne vont pas vraiment dans le sens d'une amélioration de la situation des consommateurs. Revenons à l'étude Rewheel research du 1er mai. En moyenne, sur les marchés avec quatre opérateurs, les clients ont trois fois plus de GB pour 20 euros que sur ceux avec trois opérateurs (et deux fois plus pour 30 euros). "Sur les marchés allemand et autrichien passés de quatre à trois opérateurs mobiles, les consommateurs paient respectivement quatre et trois fois plus pour acheter 50 GB que sur le marché français à quatre opérateurs", écrit même Rewheel. Si consolidation il devait y avoir, il ne fait aucun doute que le cahier des charges de l'Arcep sera particulièrement strict, pour éviter les dérives. Après tout, les opérateurs viennent de démontrer qu'ils étaient capables d'investir des sommes élevées dans leurs infrastructures en maintenant des prix bas et sans mettre en péril leurs modèles économiques.
 

La comparaison des tarifs moyens sur les marchés à 3 ou 4 opérateurs (source : Rewheel, cliquer pour agrandir)