par Douglas Busvine, Jörn Poltz et Arno Schuetze

La société allemande de paiements électroniques Wirecard, au centre d'un scandale depuis la découverte d'un trou de 1,9 milliard d'euros dans ses comptes, a annoncé jeudi qu'elle demandait l'ouverture d'une procédure de dépôt de bilan.

Elle laisse ainsi ses créanciers face à une dette de 3,5 milliards d'euros qui ne leur sera pour l'essentiel probablement jamais remboursée, dont 1,75 milliard empruntés à quinze banques et 500 millions auprès d'investisseurs obligataires, a déclaré une source proche des discussions avec les créanciers.

"Cet argent s'est envolé", a déclaré une source proche d'un créancier. "On pourra peut-être récupérer quelques euros dans quelques années, mais on passe la perte dans nos comptes dès maintenant."

La cotation du titre a été provisoirement suspendue à la Bourse de Francfort juste avant cette annonce. A la reprise, son cours a plongé de près de 80%.

Au total, depuis que les auditeurs d'EY (Ernst & Young) ont refusé il y a une semaine de certifier les comptes de l'entreprise pour l'année 2019, 97% de la capitalisation boursière de Wirecard s'est envolée.

Le scandale a conduit à la démission de Markus Braun, président du directoire de l'entreprise depuis 2002, soupçonné par la justice allemande d'avoir gonflé le bilan du groupe afin de le rendre plus attractif aux yeux des investisseurs et des clients. Il a été remis en liberté conditionnelle contre une caution de 5 millions d'euros.

Jan Marsalek, ancien directeur général adjoint, est lui aussi soupçonné. Il serait aux Philippines, où se joue une partie du scandale Wirecard.

Les services du procureur de Munich, qui ont annoncé avoir effectué une perquisition au siège de l'entreprise le 5 juin, se disent prêts à examiner "tous les délits possibles".

Dans un communiqué, Wirecard explique avoir entamé cette procédure de dépôt de bilan devant un tribunal de Munich "en raison d'une insolvabilité imminente et d'un surendettement". La société ajoute étudier l'opportunité de lancer des procédures similaires pour ses filiales.

UN PARFUM D'ENRON

"Nous pensions que Wirecard était une entreprise digne de confiance dirigée par des gens qui savaient ce qu'ils faisaient", a commenté une troisième source, comparant l'affaire Wirecard au scandale Enron, géant américain du courtage en énergie emporté à la suite de la découverte en 2001 de fraudes et de manipulations financières.

Le trou de 1,9 milliard d'euros représente un quart du bilan de cette 'Fintech' munichoise, fondée en 1999 et dont la chute survient moins de deux ans après son admission dans le prestigieux indice DAX de la Bourse de Francfort, au sein duquel elle avait remplacé la Commerzbank en septembre 2018.

Wirecard, dont la capitalisation boursière a atteint jusqu'à 28 milliards de dollars, est la première société cotée au DAX à tomber.

Vingt ans après sa création, l'entreprise, concurrente de sociétés comme Ingenico ou PayPal , emploie quelque 5.800 salariés dans 26 pays. Elle gère des paiements électroniques pour les consommateurs et pour les entreprises et avait déjà été fragilisée par une série d'accusations de fraude comptable.

Début 2019, le Financial Times avait ainsi publié une série d'articles évoquant de possibles malversations financières et irrégularités comptables de la part d'employés du groupe allemand à Singapour. Le journal économique disait s'appuyer sur une enquête menée par un cabinet juridique sur des accusations formulées par un lanceur d'alerte anonyme.

A Paris, Orange a fait savoir jeudi matin que sa banque en ligne pourrait mettre fin à son partenariat avec Wirecard en août prochain. Ce partenariat permet aux clients d'Orange Bank d'accéder à des services de paiement mobile via Google Pay et Apple Pay.

"On avait enclenché une réflexion il y a plusieurs mois pour revoir globalement notre politique. Le sujet Wirecard était embarqué, on avait prévu d'en parler à nos clients en août et on ne change rien à ce calendrier", a déclaré Paul de Leusse, le directeur général d'Orange Bank, lors d'une conférence téléphonique avec des journalistes.

(avec Mathieu Rosemain à Paris; version française Henri-Pierre André, édité par Jean-Michel Bélot et Bertrand Boucey)