"Lors du colloque du 18 Octobre 2013 sur la « Transition éco-sociale », vous interveniez sur les initiatives pour une nouvelle croissance. Le capital humain est-il un facteur majeur de compétitivité et de croissance durable pour l’entreprise ? Des spécificités selon le secteur ?
« On le sait, l’industrie française est structurellement peu avantagée sur le facteur de compétitivité coût vs ses concurrents mondiaux. Or, les femmes et les hommes qui constituent l’entreprise représentent le principal garant de la compétitivité hors coûts à long terme.
Pour être au rendez-vous des enjeux stratégiques de l’entreprise, il est donc nécessaire de faire évoluer les compétences de ces femmes et de ces hommes vers les métiers et les territoires de demain, sans bouleverser les équilibres établis :
- travailler en anticipation sur les métiers/compétences et les grands équilibres de demain,
- en déduire : (i) une vraie Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences, de plus en plus précise et de plus en plus intégrée à l’ensemble des processus (budget, formation…) et (ii) une capacité à se projeter vers les métiers de demain en lien notamment avec les bouleversements introduits par la digitalisation.
La digitalisation, qui arrive telle une vague de fond dans nos entreprises, remet en cause nombre de fondements. Ne faut-il pas, par exemple, imaginer l’évolution de notions d’organisation du travail, de temps de travail ou de lieu de travail dans un univers où la frontière professionnelle / personnelle devient plus floue, où la mobilité nous permet d’être connectés partout et où le travail en mode projet se développe?
Mais penser l’entreprise digitale, c’est aussi penser les éléments de régulation qui garantissent le vivre ensemble en entreprise. »

Quelles sont les bonnes pratiques (management, organisation…) pour valoriser le capital humain de l’entreprise aussi bien individuel que collectif (les hommes générateurs de valeur plutôt que centres de coûts)? Notamment quelle dynamique pour capter l’innovation portée par le capital humain de l’entreprise ?
« Du point de vue de l’organisation et du management, il s’agit d’intégrer les meilleures pratiques issues du mode projet en allant vers une organisation plus horizontale, un management plus participatif et des échanges en transverse favorisés. Le manager doit ainsi évoluer vers un rôle de coordinateur et chercher à maximiser les énergies de chacun. Attention toutefois aux lectures trop jusqu’au-boutistes: si l’organisation pyramidale tend à s’effacer, la hiérarchie reste fondamentale au bon fonctionnement de l’entreprise. Même dans les modèles d’holacratie les plus poussés, il subsiste une hiérarchie et des personnes en responsabilités qui prennent les décisions. »

Comment mesurer l’investissement dans le capital humain et son Retour sur Investissement (ROI) ?
« Il ne s’agit pas de dupliquer une logique financière mais d’accepter que soit mesuré l’impact financier des dysfonctionnements RH (l’absentéisme..) et l’efficacité des investissements humains (formation…).
Ce n’est pas chose facile, mais c’est possible. Ainsi, à Orange nous mesurons chaque semestre la performance sociale par le biais d’un sondage salarié et cette mesure est intégrée dans la rémunération du top management. »

Dans cette logique du développement de l’extra financier, faut-il aller vers une communication financière et extra financière plus intégrée ?
« Au même titre que la communication RSE a été généralisée et quasiment intégrée aux publications de résultats, il convient d’élargir encore l’assiette pour prendre en compte les femmes et les hommes dans une approche sociale et financière. Orange, par la voix de son PDG, porte cette vision selon laquelle il ne peut y avoir de performance économique sans performance sociale. Cela doit également se traduire dans les communications financières.
En la matière, je ne pense pas que les Big 5 soient en mesure d’assurer avec suffisamment de pertinence ce rôle et je crois plutôt à la contribution des agences de notation sociale. »

Quelles mesures attendriez-vous des pouvoirs publics (dans le domaine social, fiscal, juridique, économique ou financier) pour un environnement favorable à ces bonnes pratiques permettant de valoriser le capital humain de l’entreprise ?
« En la matière, l’impulsion ne pourra venir des pouvoirs publics. »

Bruno METTLING est Directeur Général Adjoint, en charge des Ressources Humaines du Groupe Orange depuis 2011. Après un début de carrière dans différents ministères (Finances, Emploi, Equipement, Ville), Bruno METTLING est nommé Directeur financier adjoint de La Poste, et rejoint en 1999 les Caisses d’Epargne où il a notamment lancé la réforme du secteur des RH.
En 2010, il est nommé au sein du Groupe France Telecom Orange Directeur exécutif en charge de l’Emploi, des Compétences et d’Orange Campus, puis DRH Groupe. Il est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques et de la Faculté de droit d’Aix en Provence.


Interview conduite dans le cadre de la Tribune Sciences Po 2013-2014, dirigée par Marie-Ange ANDRIEUX, en collaboration avec l’étudiante Sciences Po Margaux Bigotte.

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