"Le 8 mars, les cotations sur le pétrole marquaient leur plus fort recul depuis un an, avec une correction de 5% sur la journée. Que vous évoque l’ampleur de cette correction ?
Cette correction est importante mais pas exceptionnelle. Nous avons observé d’autres baisses tout aussi significatives en 2016 notamment, en juillet (-4,98%).

Parmi les raisons de cette correction, figure l’inquiétude grandissante autour de la hausse des stocks américains. Vous indiquez qu’une large partie de cette progression est due à l’arrivée de bateaux commandés il y a plusieurs mois ?

La reconstitution des stocks outre Atlantique a été substantiellement alimentée par les importations des bateaux pétroliers qui sont partis en fin d’année dernière.
Suite à la conclusion de l’accord d’Alger en novembre 2016, qui prévoit la diminution, à compter de janvier 2017, de 1,2 millions de barils par jour pour les pays de l’OPEP et 600 000 barils par jour pour les pays n’appartenant pas au cartel, les pays signataires se sont efforcés de vendre un maximum de pétrole sur le marché avant d’être contraints de réduire la voilure.
De nombreux bateaux ont été achetés par les Etats-Unis. Ces bateaux qui sont partis du Golf Persique ont mis du temps à arriver à destination. Cette analyse est confirmée par le fait que pour la première fois, la semaine dernière, les stocks américains sont apparus en recul.

Nous devrions désormais voir ces stocks continuer à décroitre dans les mois à venir comme l’espère l’Arabie Saoudite.

Le mouvement de correction a été amplifié par l’importance des positions ouvertes. A la veille de la correction ces positions s’élevaient à 875 millions de barils. Quelle analyse faites-vous de ce positionnement des investisseurs ?

875 millions de barils est un chiffre record s’agissant des positions ouvertes acheteuses sur le marché.
Les investisseurs ont construit des positions importantes sur le pétrole à la suite de la réunion de l’OPEP en novembre. La taille de ces positions s’est élargie au fur et à mesure que le respect de l’accord conclu a été observé.

Comment expliquez-vous l’initiation de ces positions acheteuses ?

Le dossier du pétrole est géré en Arabie Saoudite par le nouveau ministre du pétrole saoudien Khaled Al Faleh et le nouveau vice prince héritier, également vice premier ministre, Mohammed ben Salmane. Avant la réunion de Vienne, ces deux hommes se sont efforcés de rencontrer tous les grands acteurs du marché, hedge funds et grandes compagnies de négoce.
C’est suite à ces rencontres que nous avons constaté une hausse des prises de positions acheteuses sur le pétrole. En particulier, le volume des positions sur le put 50 dollars se sont amplifiées. Dit autrement de nombreux investisseurs ont décidé de faire le pari que le cours du baril ne descendrait pas en dessous de 50 dollars.
De là nous pouvons supposer que Khaled Al Faleh et Mohammed ben Salmane ont cherché à convaincre d’une certaine détermination à ne pas laisser le baril descendre en dessous de ce seuil.

En cela on peut parler de forward guidance ?

On peut l’admettre ainsi, comparablement à la fameuse phrase « whatever it takes » prononcée par le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, s’agissant de la zone euro à l’été 2012.

Mais alors comment expliquer le débouclement des positions de ces derniers jours ?

Essentiellement par les doutes grandissants autour du renouvellement de l’accord de l’OPEP.
Pour de multiples observateurs cet accord ne sera pas suffisant pour réguler le prix du pétrole s’il ne dure que 6 mois.
Or ces derniers jours, plusieurs déclarations contradictoires ont été relayées brouillant la visibilité sur le prolongement de cet accord. Khaled Al Faleh a notamment indiqué qu’il n’y aurait pas de « free ride ».

Qu’est-ce que cela signifie ?

L’OPEP, et plus singulièrement l’Arabie Saoudite, veulent bien que le pétrole de schiste se développe en perspective de la déplétion que l’on a vocation à avoir dans les champs de pétrole conventionnel sur fond d’une pénurie des investissements.

Dans cette optique, les producteurs de shale seront amenés à gagner des parts de marché, mais pas au détriment des pays de l’OPEP mais au détriment des grandes majors.

Cependant, les autorités saoudiennes ne veulent pas que cette concurrence ait lieu dès aujourd’hui. Elles ne sont pas enclines à sacrifier ses parts de marché.

Les débouclements de positions n’ont pas été massifs…

Nous sommes passés de 875 millions de barils à 820 millions de barils. Cela sous-entend que le potentiel de correction est important.

Si le marché a de nouveau peur, le baril peut facilement perdre 5 ou 6 dollars. Le baril WTI pourrait se situer autour de 40 dollars.

Une autre manière pour l’Arabie Saoudite de montrer sa volonté de conserver ses parts de marché est l’abaissement du prix de vente de son pétrole le plus léger à destination de l’Asie. Une attitude qui pourrait se répéter ?

L’Arabie Saoudite a baissé le prix de son pétrole le plus léger qui est en concurrence le plus direct avec le pétrole de schiste. Son objectif est clairement d’empêcher les pétroliers de schiste de trouver des débouchés dans cette région du monde très consommatrice.
Cette attitude fait sens et pourrait tout à fait se répéter.

L’Arabie Saoudite menace de conduire une stratégie de « flip flop » consistant à entretenir une certaine volatilité du prix du baril...

C’est ce que semble penser le marché. Habituellement, la courbe à terme du pétrole est en contango. Plus on va loin dans le temps et plus le prix du pétrole est cher.
Le fait de na pas avoir d’assurance de la part de l’Arabie Saoudite que l’accord de l’OPEP sera prolongé a conduit à un prix du pétrole en hausse à court terme mais en baisse à long terme avec l’idée qu’il y aurait probablement plus de pétrole dans un proche avenir. La courbe des prix est alors passée en configuration backwardation.
Cette configuration a mis en difficulté les pétroliers de schiste pour trouver du financement, la vente de la production à terme n’étant plus avantageuse.
Ceci étant, je ne pense pas que l’Arabie Saoudite prendra effectivement le chemin de cette stratégie.

Pourquoi ?

L’Arabie Saoudite veut surtout imposer ses règles du jeu. Elle veut que les producteurs de schiste soient patients et attendent leur tour.
Le Royaume a tout intérêt à faire en sorte d’instaurer les conditions nécessaires à la réussite de l’introduction en bourse de Saudi Aramco. Parmi ces conditions, il y a la stabilisation du prix du baril à un niveau correct, entre 50 et 60 dollars.

Quelle évolution du cours du baril escomptez-vous pour les mois à venir ?
Nous devrions avoir une phase de volatilité de deux à trois mois. Les prix pourraient osciller entre 45 et 55 dollars.
Devrait s’ensuivre une relative accalmie. C’est au troisième trimestre que l’on consomme le plus de pétrole dans le monde, entre 1 et 1,5 millions de barils par jour supplémentaires. Même si l’OPEP ne reconduit pas la réduction de production décidée pour le premier semestre, ce qui n’est pas notre scénario central, le marché devrait tout de même se retrouver avec un élément de poids pour l’aider à se rééquilibrer.
Les bateaux qui ne seront pas partis jusqu’en juin, n’arriveront pas jusqu’en septembre.
Le prix du baril pourrait remonter entre 65 et 70 dollars fin 2017.
On devrait ensuite voir un prix de 80 dollars fin 2018 sur fond d’interrogations à propos du manque d’investissement des grands producteurs de pétrole conventionnel.

Une coexistence harmonieuse entre l’OPEP et les producteurs de pétrole de schiste vous semble possible à terme ?

On pourrait se retrouver avec une cohabitation pacifique à horizon fin 2018/début 2019. L’absence de renouvellement des capacités de production des producteurs de pétrole conventionnel en raison de la dépression naturelle des champs pétroliers laissera de la place aux producteurs de pétrole de schiste sans porter préjudice à l’OPEP.

Selon vous il y a une de fortes chances que l’accord de l’OPEP soit reconduit. Quels indicateurs seront importants à suivre pour confirmer ce pressentiment ?

Le niveau des stocks pétroliers. Selon le ministre de pétrole saoudien, si les stocks ne repassent pas sous la moyenne de 5 ans en juin, il sera nécessaire de prolonger l’accord.


Un autre indicateur clé sera le nombre des foreuses en activité. Ces dernières sont reparties assez fortement à la hausse.

Il sera également intéressant de suivre le nombre de DUC, autrement dit des forages non terminés et en inactivité. Ces DUC ont récemment augmenté. Deux interprétations sont possibles. Soit, les producteurs de schiste ont entendu ce qu’a dit l’Arabie saoudite. Soit les opérateurs sont confrontés à une hausse de leurs couts en particulier du fait du renchérissement des prix des services.

Que voulez-vous dire ?

Pour faire des gains de productivité, les producteurs de pétrole de schiste ont été amenés à renégocier à la baisse les contrats de services.
Plusieurs sociétés de services pétroliers ont du faire faillite. On commence à manquer de main d’œuvre.
La demande pour les sociétés de service croissant, ces dernières sont en mesure d’exiger une augmentation des prix des services. Cela devrait faire monter les couts de production pour les producteurs de pétrole de schiste.
C’est ce qui nous conduit à tabler sur le fait que l’activité des pétroliers de schistes va reprendre sur un rythme moins soutenu qu’on ne le pense.

Quelle stratégie d’investissement est-il pertinent d’adopter sur le marché pétrolier présentement ?

Il y a lieu d’attendre d’avoir plus de clarté sur la position de l’OPEP. Les pétroliers de schiste n’ont pas encore vraiment répondu à la pression exercée par l’OPEP.

"