Dans un contexte de craintes de voir les Etats-Unis perdre la main au profit de la Chine dans le domaine des communications mobiles, le président américain fait ainsi capoter ce qui aurait été le plus important rapprochement jamais enregistré dans le secteur technologique.

Un responsable de la Maison blanche a précisé que le décret présidentiel était la conséquence directe d'un calcul montrant que le rôle de premier plan des Etats-Unis dans la mise au point de technologies et dans la définition des normes pour la prochaine génération de communications mobiles allait être repris par la Chine en cas de rachat de Qualcomm par Broadcom.

Les fabricants de semi-conducteurs se préparent à l'essor attendu de la technologie sans fil 5G, qui va accélérer encore les transferts de données, et Qualcomm, basé à San Diego, apparaît comme l'un des principaux concurrents des entreprises chinoises comme Huawei Technologies dans ce contexte.

Qualcomm avait rejeté l'offre à 117 milliards de dollars (95 milliards d'euros) de Broadcom, projet qui a fait l'objet d'une enquête par le Comité des investissements étrangers aux Etats-Unis (CFIUS), qui examine les investissements susceptibles d'avoir des implications en termes de sécurité nationale.

Dans un lettre datée du 5 mars, le CFIUS avait dit qu'il s'inquiétait de voir Broadcom couper les vivres à Qualcomm en matière de recherche et développement, tout en citant les risques associés aux relations de Broadcom avec des "entités étrangères".

Sans que ces entités soient nommées dans la lettre, cette dernière a qualifié à plusieurs reprises Qualcomm comme l'entreprise la plus en pointe dans le développement de la technologie 5G.

"Un transfert vers la Chine d'une position dominante dans la 5G aurait d'importantes conséquences négatives pour la sécurité nationale des Etats-Unis".

INQUIÉTUDES DES MILITAIRES AMÉRICAINS

Une source proche du CFIUS a dit que, en cas de rachat de Qualcomm par Broadcom, les militaires américains avaient exprimé leurs inquiétudes de voir, d'ici 10 ans, émerger un seul acteur dans ces technologies de communications, "qui serait essentiellement Huawei", ne laissant pas d'autre choix aux opérateurs américains que d'acheter les équipements du groupe chinois.

Ce dernier a noué des liens commerciaux plus étroits avec nombre d'opérateurs en Europe et en Asie, le mettant ainsi en bonne position dans le course mondiale à la 5G.

Huawei dispose d'une position dominante en Chine, qui devrait être de loin le premier marché de la 5G, et s'est également développé ailleurs dans le monde pour concurrencer les géants nordiques que sont Ericsson et Nokia.

Selon un rapport de Jefferies citant des travaux de LexInnova, Qualcomm détient 15% des brevets essentiels au déploiement de la 5G à travers le monde, contre 11% pour Nokia.

Dans des échanges d'après-Bourse, le titre Broadcom gagnait près de 1% tandis que l'action Qualcomm cédait plus de 4%.

"Le rachat projeté par l'acquéreur (Broadcom) est interdite, et toute fusion sensiblement équivalente, acquisition ou rachat, effectué directement ou indirectement, est aussi interdit", précise le décret présidentiel promulgué lundi.

Le decret fait état de "preuves crédibles" qui ont conduit Donald Trump à considérer qu'une prise de contrôle de Qualcomm par Broadcom "pourrait conduire à une action qui menace d'affecter la sécurité nationale des Etats-Unis."

Broadcom a dit qu'il passait en revue le décret présidentiel, ajoutant qu'il contestait "vigoureusement que son projet d'acquisition de Qualcomm soulevait la moindre question de sécurité nationale".

Qualcomm, qui avait reporté son assemblée générale suite à l'enquête du CFIUS, a fixé au 23 mars la nouvelle date de cette réunion.

La décision de Donald Trump d'interdire le rachat de Qualcomm par Broadcom intervient quelques mois après que le président américain avait qualifié cette dernière de "l'une des entreprises vraiment formidables".

C'est la cinquième fois qu'un président américain bloque une opération à la suite d'un avis du CFIUS.

(Diane Bartz, Steve Holland et Chris Sanders à Washington; Supantha Mukherjee et Pushkala Aripaka à Bangalor; Greg Roumeliotis à New York; Steve Nellis à San Francisco; Sijia Jiang à Hong Kong, Marc Joanny et Benoit Van Overstraeten pour le service français)

Valeurs citées dans l'article : Qualcomm, Broadcom Limited