par Patrick Vignal

Le pire a été évité sur le marché du crédit, où la crise du coronavirus n'a pas provoqué de cataclysme, mais la pandémie jouera le rôle de catalyseur des taux de défaut, dit-on chez Carmignac.

La dislocation observée en mars sur les obligations d'entreprises a bien entraîné une crise de liquidité mais celle-ci a été immédiatement jugulée grâce à l'intervention rapide et massive des banques centrales, déclare à Reuters Pierre Verlé, responsable crédit pour la société de gestion.

"Il y a eu une crise de liquidité mais tout est reparti en l'espace de 24 heures, avec un retour à l'achat quasi immédiat, alors qu'en 2008, la crise de liquidité avait duré plusieurs mois", dit-il.

"Instruites de l'expérience de 2008, les banques centrales ont immédiatement inondé le marché de liquidités sans se poser de questions afin d'éviter des réactions en chaîne."

Les instituts d'émission ont considérablement renforcé leur présence sur le marché du crédit, non seulement sur le segment classé en catégorie investissement ("investment grade") mais également sur celui des obligations à haut rendement ("high yield").

La Réserve fédérale a ainsi commencé à acheter de la dette en catégorie spéculative en se concentrant sur les émetteurs récemment tombés dans l'univers du "high yield" après une dégradation de leur note de crédit, les "anges déchus" (fallen angels).

Quant à la Banque centrale européenne, elle accepte désormais le "high yield" en collatéral et étudie, selon plusieurs sources, la possibilité d'en acheter directement elle aussi.

"Les achats de crédit par les banques centrales sont un facteur de soutien colossal", dit Pierre Verlé. "Sans leurs actions, on aurait eu un cataclysme."

Moins vigoureux que sur le marché actions mais bien réel, le rebond du crédit a été observé d'abord sur les actifs liquides dont les noms figurent dans les indices et qui bénéficient ainsi des flux générés par la gestion passive, explique-t-il.

"Les autres valeurs nécessitent une analyse qui était difficile à faire puisque les rapports financiers qui attestent de l'ampleur de la crise sont encore à venir", dit-il avant de prévenir que les comptes des entreprises au deuxième trimestre seront bien pires que ceux des trois premiers mois de l'année, tout juste publiés.

"LES PLUS FAIBLES TOMBERONT PLUS VITE"

La relative sérénité d'investisseurs ayant déjà intégré la récession s'explique par le fait qu'ils regardent au-delà du deuxième trimestre et misent sur un redémarrage de l'activité, selon Pierre Verlé.

Si elle va bouleverser le paysage du crédit avec de nombreux défauts à attendre, la crise n'est pas nécessairement une catastrophe pour des investisseurs adoptant une perspective de long terme puisqu'elle ne fera qu'accélérer des tendances déjà à l'oeuvre, prolonge-t-il.

"Au début de l'année, les marchés de crédit ne tablaient ni sur une récession ni sur une augmentation des taux de défaut à un horizon de 12 mois mais quand vous achetez du crédit, vous l'achetez en moyenne à cinq ans et ce qui compte, c'est la probabilité du taux de défaut cumulé à cinq ans, qui n'a pas augmenté autant que les marges de crédit", dit-il.

"Les taux de défaut vont augmenter très fortement dans un premier temps mais une grande partie des défauts des prochains trimestres toucheront les entreprises les plus faibles, dont le défaut était hautement probable dans les deux ou trois prochaines années.

"La crise du Covid-19, de la même manière que pour les changements dans les modes de consommation ou les façons de travailler, joue pour les taux de défaut un rôle de catalyseur plutôt que de cataclysme. Les plus faibles tomberont plus vite. Il y aura des défauts qui n'auraient pas eu lieu sans la crise, mais pas autant que ce que les marchés mettent dans les prix."

L'un des autres effets de la crise sera de gonfler l'univers du "high yield" avec des acteurs expulsés du segment "investment grade", dont la partie basse est très encombrée avec de nombreux émetteurs notés "BBB". Un phénomène qui était lui aussi attendu, mais pas avec la même rapidité.

"Le risque des 'fallen angels' existait depuis un certain temps avec l'énorme augmentation de la proportion de 'BBB', qui représente environ la moitié du segment 'investment grade' contre environ 20% dans le cycle précédent, avec le financement par la dette d'opérations de fusion et acquisition ou de rachats d'actions", explique l'expert de Carmignac.

"Les agences de notation, qui ont été particulièrement complaisantes envers les émetteurs 'investment grade' pendant ce cycle, les dégradent en masse, ce qui va réduire le marché investment grade et gonfler l'univers du high yield".

Des noms prestigieux tels que Renault en Europe et Ford aux Etats-Unis s'installent ainsi dans cette classe d'actifs, ce qui ne signifie pas nécessairement, selon Pierre Verlé, qu'il faille s'alarmer.

"Le secteur automobile n'est pas celui qui m'inquiète le plus parce qu'il s'était fortement désendetté dans le cycle précédent", dit-il.

"Je suis plus inquiet pour les secteurs dans lesquels le prix de la disruption n'est pas encore intégré, comme par exemple la distribution."

(édité par Marc Angrand)