Paris (awp/afp) - Associés depuis près de 20 ans, Renault et Nissan sont désormais imbriqués à un tel point qu'un divorce semble impensable car très coûteux et dangereux pour les entreprises, au moment où l'arrestation de Carlos Ghosn laisse apparaître des tensions.

Selon plusieurs analystes, le groupe au modèle unique dans l'industrie automobile, qui associe des entreprises indépendantes à travers des participations croisées minoritaires, serait extrêmement difficile à détricoter, même si la chute de M. Ghosn, l'artisan de l'alliance, risque de laisser libre cours à des rivalités franco-japonaises.

Ce serait "comme un couple qui divorce au bout de 20 ans, ce serait compliqué, très cher et pas facile à faire. Honnêtement, je ne sais pas si c'est possible", explique à l'AFP Gaëtan Toulemonde, analyste automobile pour la Deutsche Bank.

Carlos Ghosn jugeait lui-même l'alliance "irréversible" tant qu'elle contribuait aux performances de ses membres. Or, la coopération a apporté l'an dernier au groupe des synergies estimées à 5,7 milliards d'euros. L'objectif était d'atteindre les 10 milliards en 2022.

Avec 10,6 millions de véhicules vendus en 2017, grâce à l'intégration de Mitsubishi, l'alliance peut se prévaloir d'économies d'échelle comparables à celles de ses plus grands rivaux comme Toyota ou Volkswagen, qui dépassent aussi les 10 millions d'unités par an.

Prises séparément, les entreprises sont de taille bien plus modeste. Renault a assemblé 3,6 millions de véhicules en 2017, contre 5,8 millions pour Nissan et 1 million pour Mitsubishi. Auraient-ils séparément les moyens d'investir suffisamment pour faire la course en tête dans les voitures électriques et autonomes? Rien n'est moins sûr.

Surtout, le meccano industriel mis en place entre Renault et Nissan, auquel Mitsubishi doit progressivement s'associer, les rend indispensables l'un à l'autre.

M. Toulemonde cite en exemple les plateformes communes, une base technique mondiale à partir desquelles sont assemblés des véhicules au design différent, mais partageant les mêmes éléments mécaniques, y compris les moteurs essence ou diesel sur la plupart des modèles: "si vous divorcez, comment vous scindez les plateformes? On ne sait pas".

Plateformes communes

Avec ses plateformes communes dites CMF (Common Module Family), Renault-Nissan affirme pouvoir baisser ses coûts d'achat de 30% et les coûts d'ingénierie de 40%, de quoi réaliser des gains de marges qui permettent d'investir davantage dans les technologies du futur.

L'alliance visait 70% de ses véhicules basés sur ces plateformes en 2020, y compris une future automobile électrique développée en commun, alors que la Leaf de Nissan et la Zoe de Renault, parmi les meilleures ventes mondiales de la catégorie, avaient fait l'objet de développements totalement séparés.

Le Renault Kadjar partage ainsi son architecture avec le Nissan Qashqai, un 4x4 urbain de taille moyenne très populaire en Europe. Les Renault Mégane, Scénic et Talisman, ainsi que la petite Renault Kwid à bas coût, lancée en Inde et en Amérique du Sud, bénéficient aussi de ces plateformes.

Difficile d'imaginer que les partenaires se lancent dans des développements de moteurs séparées, alors que la plupart de leurs modèles profitent de chaînes de traction communes.

A travers une centrale d'achat, Renault et Nissan réalisent aussi de substantielles économies en partageant leurs fournisseurs.

Les groupes sont aussi très complémentaires avec Nissan bien implanté aux Etats-Unis et en Chine, Mitsubishi en Asie du Sud-Est et Renault en Europe et en Amérique du Sud. Mitsubishi doit aussi apporter à Renault et Nissan son savoir-faire sur les véhicules hybrides rechargeables, une technologie que Renault et Nissan avaient négligé.

Ces intérêts communs devraient préserver l'alliance, estime Ferdinand Dudenhöffer, directeur du Center Automotive Research (CAR) basé en Allemagne. "Renault et Nissan sont très étroitement imbriqués", donc "je pense que la coopération n'est pas menacée et qu'elle continuera avec un successeur de Ghosn".

"Une séparation de Renault et Nissan ne serait bonne ni pour le Japon, ni pour la France", assure un autre expert du secteur sous couvert d'anonymat, évoquant la course aux technologies d'avenir, nécessitant d'investir des sommes importantes qui ne seraient plus disponibles en cas de séparation.

De plus, selon lui, "ce ne serait pas le bon moment pour Nissan qui ne va pas très bien", avec "des ventes pas bonnes" actuellement.

afp/rp