Séisme dans la galaxie Renault Nissan Mitsubishi. A la Bourse de Paris, l'action Renault s'effondre de plus de 10%. C'est un article du journal japonais 'Asahi' qui a mis le feu aux poudres, ou plutôt les premières alertes tombées au sujet de l'article, suggérant que Carlos Ghosn allait être arrêté pour "violation de la réglementation boursière". Notre japonais étant très médiocre, nous nous en tiendrons à la version anglaise, fort allégée, du quotidien : "Carlos Ghosn risque une arrestation pour avoir caché une partie de sa rémunération… Le 19 novembre, le parquet se dirige vers une arrestation du président de Nissan Motor Carlos Ghosn, sur des soupçons de sous-déclaration volontaire de sa rémunération, selon des sources proches des enquêteurs". Plusieurs médias japonais ont ajouté depuis que Carlos Ghosn doit se rendre aujourd'hui dans les locaux du parquet pour s'expliquer sur des soupçons de dissimulation d'une partie de ses revenus au fisc. 

Nissan lâche son dirigeant

Second séisme peu avant 11h00 : Nissan charge Ghosn ! Dans un communiqué, le groupe nippon indique avoir mené une enquête interne, qui montre que Carlos Ghosn et Greg Kelly ("representative director") ont communiqué "pendant plusieurs années" au Tokyo Stock Exchange des montants inférieurs à la réalité afin de minimiser la rémunération de Carlos Ghosn. En outre, l'enquête a identifié "plusieurs autres éléments de mauvaise conduite" de la part de Ghosn, notamment concernant l'utilisation à des fins personnelles d'actifs de la société. La complicité de Kelly aurait aussi été avérée concernant ces éléments.

Nissan a transmis ses découvertes au parquet japonais et continue à contribuer à l'enquête. Le groupe estime que les preuves accumulées constituent une claire violation de ses principes et le CEO de Nissan, Hiroto Saikawa, va proposer au conseil de rapidement relever Ghosn et Kelly de leurs fonctions. Un épilogue incroyable pour le "golden boy" de l'automobile, longtemps salué pour avoir sauvé Nissan et redressé Renault. 
 

La "bio" et les mandats du dirigeant (Source Document de référence Renault - Cliquer pour agrandir)
 
Une rémunération élevée
 
Comme souvent dans ce type d'affaire, la première réaction est teintée d'incrédublité : Carlos Ghosn est l'un des dirigeants les mieux rémunérés du secteur. Les sommes qu'il a reçues ont déjà fait couler beaucoup d'encre. Pour la partie émergée de l'iceberg, il suffit de se pencher sur le document de référence 2017 de Renault dans lequel il était précisé que le PDG devait voir sa rémunération 2018 baisser par rapport à 2017, compte tenu de la montée en puissance de Thierry Bolloré, nommé directeur général adjoint en février. Il n'empêche, la rémunération fixe de Carlos Ghosn serait encore de 1 million d'euros, malgré une baisse de -19% par rapport à 2017 (entre 2011 et 2017, le fixe était de 1,23 million d'euros). Quant à la rémunération variable annuelle, elle dépend de l'atteinte d'objectifs financiers et managériaux. Le PDG bénéficie aussi d'une rémunération variable de long terme. 
 
En 2017, Carlos Ghosn avait touché chez Renault :
  • 1,23 million d'euro de salaire fixe
  • 1,45 million d'euros de rémunération annuelle variable (0,362 million en numéraire et 1,09 million en actions perçues en différé)
  • 4,46 millions d'euros d'actions de performance au titre de la rémunération long terme (100 00 actions dont le versement sera fonction de la présence dans l'entreprise et de certains critères de performance)
  • 47 540 EUR de jetons de présence
  • 5 610 EUR d'avantages en nature (complémentaire santé) 
Globalement, la rémunération 2017 de Carlos Ghosn chez Renault représentait donc 7,376 millions d'euros, en intégrant les éléments ci-dessus (et une valeur comptable pour les titres non encore attribués), dont 1,636 million d'euros en numéraire. Le rapport annuel de Nissan Motor au 31 mars 2017 (l'exercice japonais étant généralement clos au 31 mars) montre que le dirigeant a reçu 1,1 milliard de yens de rémunération pour son poste de PDG de Nissan Motor, soit l'équivalent de 9,18 millions d'euros sur la base du taux de change de l'époque (119,55 JPY pour 1 EUR). Au 31 mars 2018, le montant spécifié était de 735 millions de yens pour la période avril 2017/mars 2018. 
 
Carlos Ghosn ne perçoit pas de rémunération comme administrateur d'Avtovaz. Chez Mitsubishi Motors, sa rétribution en tant que président n'est pas nulle, mais elle n'est pas rendue publique car inférieure à 100 millions de yens, soit la limite en-deçà de laquelle la loi nipponne n'impose pas la transparence. La liste des éléments de rémunération figure dans les rapports annuels et dans la page centralisée dédiée chez Renault.

Des conséquences pour l'Alliance

L'Alliance Renault Nissan date de 1999. A l'époque, Renault avait pris 36,8% de Nissan et possédait des bons pour monter à 44,4%. Le redressement du japonais a entraîné une mise à jour de l'accord, permettant la mise en œuvre de participations croisées. En 2002, Nissan a pris 15% de Renault, qui est monté à 44,4% du capital de son partenaire. Carlos Ghosn devient en 2005 PDG de Renault en conservant son poste de PDG de Nissan. En 2017, Nissan scinde les deux fonctions, Ghosn restant président et Saikawa prenant la direction générale. Entretemps en 2016, Nissan a pris 34% de Mitsubishi, qui a rejoint l'Alliance. Carlos Ghosn est président de Mitsubishi Motors depuis décembre 2016. Renault / Nissan et Daimler ont par ailleurs des participations croisées beaucoup plus modestes, dans le cadre d'accords spécifiques. Enfin, Renault possède 80% de Renault Samsung Motors en Corée et 64,60% du constructeur russe Avtovaz, mieux connu via sa marque Lada. 

La structure de l'Alliance et les accords spécifiques avec Daimler (Source Document de référence Renault - Cliquer pour agrandir)

Les errements de Ghosn, s'ils sont avérés, n'ont pas forcément de retombées financières pour l'Alliance. En revanche, en matière d'image, l'effet est désastreux et risque de compliquer encore un peu plus l'organisation d'un groupe qui reposait beaucoup sur la personnalité de son dirigeant. Quant à son avenir aux commandes de Renault, il s'est considérablement assombri, même si la marque au losange n'a pas officiellement réagi.