(Répétition d'une dépêche transmise vendredi avec précisions)

* La Fed a créé la surprise avec un ton très "dovish"

* Son message est un avertissement sur la croissance-gérant

* Une phase de consolidation n'est pas à exclure

* D'autant que le Brexit et le commerce restent sources d'incertitude

par Blandine Henault

PARIS, 25 mars (Reuters) - Principale responsable du rally boursier du début d'année, la Réserve fédérale américaine pourrait bien être celle qui y met fin: en adoptant un ton encore plus accommodant qu'anticipé par le marché, la banque centrale américaine a peut-être poussé trop loin le curseur en rappelant aux investisseurs les risques qui pèsent sur la croissance mondiale.

Le changement de ton de la Fed et de son président, Jerome Powell, en janvier avait été le déclencheur d'un fort mouvement haussier des marchés actions après une fin 2018 catastrophique, marquée par un pessimisme exacerbé sur la croissance.

En assurant de son soutien et de sa patience, la banque centrale américaine a permis de reléguer au second plan les craintes d'un ralentissement prononcé de l'économie, alors même que les indicateurs conjoncturels n'ont guère montré d'amélioration au premier trimestre.

Mais à vouloir trop bien faire, la Fed est peut-être allée trop loin. Ses annonces mercredi à l'issue de la réunion de deux jours du comité de politique monétaire ont surpris tout le monde.

Plus aucune hausse de taux n'est désormais attendue pour 2019 et la réduction du bilan sera ralentie en mai puis interrompue en septembre. Il y a à peine trois mois, la Fed en était encore à relever ses taux et à anticiper deux nouvelles hausses cette année !

"C'est peut-être le plus gros rétropédalage de l'histoire de la Fed. C'est un mouvement très violent; il se peut que cela soit la goutte d'eau qui fasse déborder le vase dans le sens où cela devient inquiétant", dit Frédéric Rozier, gestionnaire de portefeuille pour Mirabaud France.

"Le message de la Fed peut être perçu comme un vrai 'warning' sur la croissance", ajoute-t-il. Ce qui explique la réaction très contrastée des marchés d'actions mondiaux.

DIVERGENCE ENTRE LES ACTIONS ET LES TAUX

De là à prédire la fin du rally boursier ? "A la suite d'un FOMC très amical, force est de constater que les bonnes surprises de ce côté-là sont très probablement derrière nous. Des prises de bénéfices ne sont donc pas à exclure", constate Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM.

Sur les marchés, les appels à la prudence se multiplient depuis plusieurs semaines déjà face à une hausse jugée exagérée des indices boursiers. Sans que cela ne se soit traduit pour autant dans les faits ... jusqu'à la baisse accusée vendredi.

Pour Frédéric Rozier, "nous sommes désormais dans une phase de bascule. Il y a tout pour que le marché consolide dans les prochains jours".

"La faiblesse des taux d'intérêt est un signal qui doit nous alerter sur une faiblesse de l'inflation et de la croissance", ajoute-t-il.

La divergence entre les actions et les rendements obligataires, clairement perceptible entre le S&P 500 et le 10 ans américain, n'est pas sans interpeller.

Le rendement des Treasuries à dix ans est retombé à moins de 2,45% et celui du Bund allemand de même échéance est repassé en territoire négatif pour la première fois depuis octobre 2016, après la parution d'indice PMI flash bien plus mauvais qu'attendu dans la zone euro au mois de mars.

L'écart de rendement entre les emprunts d'Etat américains à trois mois et ceux à dix ans s'est également inversé pour la première fois depuis 2007. Une inversion de cette courbe est généralement considérée comme un signe précurseur de récession économique.

Dans ce contexte, les investisseurs devraient se montrer encore plus attentifs aux données économiques. La publication, jeudi, des chiffres définitifs du produit intérieur brut (PIB) des Etats-Unis pour le quatrième trimestre sera certes suivie, mais ce sont probablement surtout les statistiques sur l'inflation qui retiendront l'attention.

"Il ne faudrait pas que nous ayons un effet de ciseaux avec des signes de ralentissement économique et une hausse de l'inflation", s'inquiète Frédéric Rozier.

La première estimation de l'inflation en zone euro pour le mois de février sera connue vendredi prochain, juste avant la publication aux Etats-Unis de l'indice des prix PCE, la mesure d'inflation privilégiée par la Fed.

LE FLOU PERSISTE SUR LE BREXIT

Le changement de discours de la banque centrale américaine a relégué les incertitudes et turbulences autour du Brexit au second plan sur les marchés d'actions.

De façon presque problématique. Dans une note parue jeudi, les économistes de Société générale s'interrogeaient ainsi: "Sommes-nous devenus immunisés aux nouvelles sur le Brexit ?".

En dépit des coups de théâtre à répétition, des votes successifs au Parlement et de la perspective toujours plus proche d'un Brexit sans accord, les investisseurs ne semblent en effet pas s'émouvoir outre-mesure.

"Les marchés anticipent que le Royaume-Uni finira par négocier une sortie de l'UE 'en douceur', permettant ainsi une période de transition au cours de laquelle les deux parties pourront négocier les droits de douane, les quotas de partage des ressources ou l'accès aux services", explique Stéphane Monier, responsable des investissements chez Lombard Odier.

"Une autre possibilité, plus aléatoire, existe cependant : une sortie chaotique du Royaume-Uni de l'UE dans les mois, voire dans les semaines à venir."

Les chefs d'Etat et de gouvernement européens ont accepté de reporter la date du Brexit, initialement prévu le 29 mars, pour la fixer au 22 mai au plus tard si la Première ministre britannique Theresa May parvient à convaincre la semaine prochaine son Parlement d'approuver l'accord de retrait.

NOUVEAU RENDEZ-VOUS USA-CHINE À PÉKIN SUR LE COMMERCE

Si tel n'est pas le cas, le Royaume-Uni devra quitter l'UE sans accord le 12 avril au plus tard ou proposer un nouveau projet.

"Le marché a considéré que ce n'est plus un sujet mais à un moment donné, il faudra quand même s'en inquiéter", pointe Frédéric Rozier chez Mirabaud.

Les négociations commerciales entre Washington et Pékin semblent également avoir été mises en sourdine, peu d'annonces ayant été faites sur ce dossier par les deux parties. Mais le délai prolongé des discussions suggère que les choses sont peut-être plus compliquées que prévu.

Les principaux négociateurs dans le différend commercial entre les deux pays doivent se retrouver à partir de la semaine prochaine à Pékin, la date de fin avril pour un accord étant désormais évoquée.

Mais même si les Etats-Unis et la Chine parviennent à un accord commercial, il n'est pas certain que cela soit positif pour les marchés, qui ont déjà largement intégré l'hypothèse d'une issue favorable.

Pour Frédéric Rollin, chez Pictet AM, l'annonce d'un accord pourrait pousser les opérateurs de marché à s'interroger sur la prochaine étape et serait donc susceptible de déclencher des prises de bénéfices. Un argument de plus pour les investisseurs prêts à vendre des actions.

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