(Répétition sans changement d'une dépêche diffusée vendredi)

* Mario Draghi quitte la BCE sur la pointe des pieds

* Bien des défis attendent Christine Lagarde

* Du mieux sur le commerce mais pas sur le Brexit

* La Fed pourrait baisser encore ses taux

* Les résultats du T3 sont mauvais mais pas catastrophiques

par Patrick Vignal

PARIS, 28 octobre (Reuters) - Mario Draghi quitte la Banque centrale européenne avec l'image d'un homme ayant sauvé la zone euro de l'effondrement, laissant à Christine Lagarde le soin de ramener le calme au sein d'une institution divisée et de fixer le cap dans des eaux agitées.

"Super Mario laisse quelques bananes derrière lui", a résumé Apolline Menut, économiste d'Axa Investment Managers, après l'ultime conférence de presse du président de la BCE jeudi, aux allures de passage de témoin.

Comme prévu, la BCE n'a rien sorti cette fois de sa boîte à outils après les mesures fortes prises en septembre, à savoir l'enfoncement du taux des dépôt davantage en territoire négatif et la reprise des achats d'actifs à raison de 20 milliards d'euros par mois pour "aussi longtemps que nécessaire."

Sans surprise, Mario Draghi a réaffirmé la nécessité de maintenir une politique monétaire très accommodante tout en appelant à l'unité, les annonces de septembre, et notamment le lancement d'un nouveau programme d'assouplissement quantitatif, ayant clairement déplu aux membres les plus conservateurs des instances dirigeantes de l'institution.

"Nous doutons que toutes les tensions aient disparu et voyons la nécessité d'obtenir un consensus plus large sur la politique monétaire comme la première tâche de Christine Lagarde", qui prendra ses fonctions le 1er novembre, fait valoir Apolline Menut.

Face à un flot de critiques inhabituel, voire inédit, Mario Draghi a mis en avant jeudi la continuité de son action et confirmé un plan de vol déjà tracé, ce qui ne signifie pas que la nouvelle présidente de la BCE pourra rester les bras croisés, prolonge Nicolas Forest, directeur de la gestion obligataire chez Candriam.

"Christine Lagarde s'inscrira prochainement dans sa continuité mais elle devra affronter au moins trois défis majeurs: se libérer des contraintes qui laissent penser que toute nouvelle action monétaire est impossible, intégrer le changement climatique comme facteur de politique d'investissement et accompagner les états souverains dans des politiques fiscales et structurelles plus ambitieuses", juge-t-il.

L'ÉCONOMIE DE LA ZONE EURO EN PETITE FORME

Quelques heures avant la conférence de presse de Mario Draghi tombaient les résultats préliminaires des enquêtes réalisées par IHS Markit auprès des directeurs d'achat (PMI) sur l'activité du secteur privé au sein de la zone euro.

Ce secteur privé est au bord de la contraction, le compartiment manufacturier ayant déjà basculé en territoire négatif, ce qui a permis au président sortant de la BCE de justifier sa politique accommodante mais en a montré également les limites.

"L'enquête indique que le mandat de Mario Draghi à la tête de la BCE s'achève sur un PIB proche du point mort, un ralentissement de la croissance de l'emploi, une quasi-stagnation des prix et un pessimisme croissant concernant les perspectives", souligne Chris Williamson, économiste d'IHS Markit.

Dans ce contexte, il faudra surveiller, jeudi, la première estimation de la croissance en zone euro au troisième trimestre.

Si certains n'hésitent pas à pointer Mario Draghi du doigt, d'autres sont moins critiques, notamment Patrice Gautry, chef économiste de l'Union bancaire privée (UBP), qui souligne que l'homme qui présidait aux destinées de la BCE depuis huit ans n'est pas responsable d'un climat chargé d'incertitudes.

"Le problème pour Mario Draghi, et maintenant pour Christine Lagarde, c'est de mettre en place un environnement monétaire qui permette à l'économie de mieux fonctionner", dit-il à Reuters. "Il a insisté sur les risques baissiers, que l'on peut énumérer: ce sont les tensions géopolitiques, la politique commerciale ou encore la vulnérabilité des pays émergents."

Du côté du conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine, qui pèse sur les marchés depuis un an et demi, le ciel se dégage un peu avec la perspective d'un accord partiel qui pourrait soutenir les actifs risqués.

"La bonne tenue des négociations commerciales entre la Chine et les Etats-Unis sert de fuel au marché pour continuer sa montée", écrivent dans une note les analystes de Saxo Banque.

"Nous sommes certainement à deux doigts d'obtenir un mini-accord qui pourrait même intégrer un volet sur les changes. Si ce scénario, qui reste optimiste, se réalise, nous pourrions assister à un rallye haussier de fin d'année", ajoutent-ils.

LA FED VA-T-ELLE ENCORE BAISSER SES TAUX ?

Du côté du Brexit, en revanche, le brouillard reste épais.

Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a plaidé jeudi soir en faveur de l'organisation d'élections législatives le 12 décembre afin de sortir de l'impasse sur le Brexit.

Le chef de file du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, lui a aussitôt, répondu qu'il attendrait la décision des 27 sur la demande de report du Brexit avant de se prononcer sur des élections anticipées.

Pendant les travaux sur les tensions commerciales ou le Brexit, l'actualité des entreprises continue, la saison des résultats du troisième trimestre, qui bat son plein, montrant des bénéfices en diminution sans suggérer de catastrophe imminente.

Les bénéfices des composants du S&P 500, l'indice de référence des gérants américains, sont ainsi attendus désormais en baisse de 2,3% en moyenne, contre un repli de plus de 3% anticipé précédemment, montrent les données de Refinitiv.

La Réserve fédérale américaine choisit ce moment pour se réunir avec des annonces de politique monétaire attendues pour mercredi.

"Une nouvelle baisse de taux de 25 points de base nous semble acquise dans les prochaines mois, avec une forte probabilité qu'elle soit annoncée lors de la réunion du FOMC du 30 octobre", explique Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires d'Allianz GI.

"La décélération de la croissance américaine, la persistance des risques de guerre commerciale et la baisse des anticipations d'inflation nous semblent suffisamment tangibles pour avoir raison du manque de consensus au sein du Comité de politique monétaire sur l'opportunité de continuer à baisser les taux", argumente-t-il.

Quant à la Banque du Japon, qui rendra son verdict jeudi, elle devrait exprimer sa volonté d'être aussi accommodante que nécessaire, comme d'habitude, certains observateurs n'excluant pas une baisse de taux.

(Edité par Marc Angrand)