Hier, la division commerciale de Boeing a annoncé avoir livré 380 appareils en 2019, le niveau le plus faible depuis plus de dix ans (d'autant qu'il comprend quelques versions militaires des appareils civils). Airbus en totalise 863 sur la même période. Le carnet de commandes de la famille B737 contient encore 4398 appareils. Celui de la famille A320 dépasse les 6000 unités.

2019, une année record... pour Airbus
2019, une année record... pour Airbus

Financièrement, rien ne semble pouvoir abattre l'Américain. Pourtant, les agences de notation se tiennent prêtes à dégainer un abaissement de la solidité de l'industriel. L'affaire du B737MAX lui a déjà officiellement coûté 9,2 Mds$, soit plus que le coût de développement de l'appareil ! Un montant qui sera à coup sûr revalorisé le 29 janvier lors de la publication des résultats de l'entreprise.

Le retour en exploitation du monocouloir n'est pas attendu avant le début juin chez American et United Airlines. En parallèle, les négociateurs de Boeing sillonnent la planète pour discuter indemnisations avec les compagnies clientes. En empilant les milliards de dollars, même les colosses de la cote boursière américaine peuvent se retrouver ébranlés.

Des rachats d'actions

En tout cas, ces provisions n'iront pas au développement industriel de l'entreprise. Or cela fait un certain temps que Boeing chouchoute plus ses actionnaires que ses ingénieurs. Et c'est probablement une partie du problème. Les économistes William Lazonick et Mustafa Erdem Sakinç ont calculé qu'entre le 1er trimestre 2013 et le 1er trimestre 2019, Boeing a versé 17,4 Mds$ de dividendes (42% des bénéfices de la période) et procédé à 43,1 Mds$ de rachats d'actions, soit 104% des bénéfices de la période. Les rachats ont culminé à 9,2 Mds$ en 2017, mais ont encore représenté 9 Mds$ en 2018.

Evidemment, une partie de ces fonds - plus de 60 Mds$ en 7 ans – aurait pu être utilisée à des fins industrielles. Le dernier gros programme de Boeing, sans parler du B737MAX, s'est plutôt mal passé. Le B787 a finalement séduit les compagnies, mais après pas mal de déboires et une facture finale qui aurait dépassé, dit-on, 30 Mds$.

Les difficultés éprouvées sur ce projet ont d'ailleurs pesé dans la balance chez Boeing, lorsqu'il a fallu trancher entre un monocouloir totalement nouveau et une modernisation du vénérable 737, alors que l'appareil avait déjà fait l'objet d'un lifting quelques années auparavant. De là à penser que l'expertise industrielle s'est émoussée avec la fuite des capitaux, il n'y a qu'un pas. 

Mélange des genres

La banalisation des vastes programmes de rachats d'actions est d'autant plus nocive qu'elle va parfois de pair avec des rémunérations variables de dirigeants indexées à un cocktail de ratios de performance et de progression de l'action. C'était le cas chez Boeing pour le désormais ex-CEO Dennis Muilenburg, contraint à la démission fin 2019 à cause de l'affaire du B737MAX. L'intéressé a reçu près de 96 M$ de rémunération brute entre 2015 et 2018 (toujours selon les travaux de Lazonick et Sakinç), alors que son salaire annuel avoisine 1,7 M$. Plus de la moitié de la rémunération brute provient de l'exercice de stock-options et d'actions gratuites. Et 34% de cette rémunération s'appuie sur des ratios financiers atteints par l'entreprise (notez bien que certains ratios sont plus faciles à atteindre quand il y a moins de titres en circulation).

L'action Boeing souffre mais ne rompt pas en 2019

Je finirai avec l'étonnant parcours de l'action Boeing depuis le 13 mars, lorsque le B737MAX a été cloué au sol. Elle n'a somme toute perdu que 11,5% de sa valeur. Certes, le différentiel avec le S&P500 est important (sousperformance de 29%), mais la sanction paraît assez légère au regard des conséquences, en particulier la perte de confiance avérée d'une partie des transporteurs, des équipages et même des clients. Le nouveau CEO a promis une profonde transformation de l'entreprise. Pour y parvenir, il faudra plus que des rachats d'actions.