par Samia Nakhoul

BEYROUTH, 28 septembre (Reuters) - Le renforcement de la présence militaire russe en Syrie éloigne la perspective d'une éviction prochaine du président Bachar al Assad par la force des armes et confirme le scénario d'une partition de facto du pays après quatre ans et demi de conflit, estiment la plupart des spécialistes de la région.

Moscou a décidé d'accroître son aide au régime de Damas à la suite des revers répétés des forces gouvernementales syriennes ces derniers mois face aux rebelles, parmi lesquels les djihadistes de l'Etat islamique (EI).

L'objectif principal est de renforcer le "pays alaouite" fidèle à la famille Assad, sur la côte méditerranéenne et dans les montagnes du nord-ouest du pays, et d'y établir un bastion loyaliste si jamais Damas devait tomber.

A Lattaquié, la grande ville de la région, la population a quadruplé depuis quatre ans avec l'arrivée de milliers de réfugiés, alaouites mais aussi chrétiens et chiites.

L'accroissement de la présence militaire russe a commencé dès le mois de juin dernier.

Lorsque les Russes ont vu que l'avance des rebelles islamistes risquait de menacer Lattaquié, non loin de la base navale russe de Tartous, héritage de l'époque soviétique et unique port de la marine russe en Méditerranée, ils ont décidé d'agir.

Les relations étroites entre Moscou et Damas remontent au temps du président Hafez al Assad, le père de Bachar, dans les années 1970. Les Russes ont toujours maintenu des conseillers militaires dans le pays.

Les insurgés contrôlent aujourd'hui les deux tiers de la Syrie et on voit mal comment l'armée gouvernementale pourrait reprendre le terrain perdu, sauf si les Russes engagent des forces au sol, ce qui semble pour l'instant exclu.

"Le régime d'Assad s'affaiblissait vraiment de plus en plus et les Russes ont pris peur", déclare l'ancien ambassadeur des Etats-Unis Robert Ford, qui fut l'envoyé spécial américain pour la Syrie et a démissionné en raison de désaccords avec la politique de Washington dans la région.

"ASSAD EST LÀ POUR RESTER"

Officiellement, le Kremlin présente son engagement en Syrie comme sa contribution à la lutte contre l'EI mais son objectif principal est de soutenir le régime et, par là-même, de protéger sa base de Tartous, ajoute Robert Ford.

"Si les Russes veulent combattre l'Etat islamique, pourquoi envoient-ils des avions à Lattaquié et non à Damas ? Pourquoi envoient-ils des systèmes de défense antiaérienne alors que les djihadistes n'ont pas d'aviation ?"

"Avant tout, il s'agit pour eux d'aider Assad", souligne l'ancien ambassadeur, qui n'exclut pas des attaques directes contre les islamistes et les autres insurgés dans le nord-ouest du pays.

"Bachar al Assad a demandé aux Russes d'intervenir parce qu'il était désespéré, que son armée était en train de s'effondrer", confirme un ancien haut responsable syrien.

"Cette intervention russe vise à préserver le statu quo et protéger les zones loyalistes", ajoute-t-il. "Cela va permettre au régime de camper sur ses positions -- pas de négociations avec l'opposition -- mais ça ne règle en rien le problème."

Pour Fawaz Gerges, spécialiste du Proche-Orient à la London School of Economics, l'engagement russe montre bien qu'Assad est là pour rester.

"Contrairement à ce que disent les Etats-Unis, la Turquie, le Qatar et l'Arabie saoudite, l'intervention de Moscou montre qu'Assad ne va pas partir", dit-il.

Ayham Kamal, analyste à Eurasia Group, renchérit: "Avec l'initiative russe, on ne peut vraiment compter sur un changement de régime. Assad est là pour rester, au moins pendant une période transitoire, et tout le reste dépend des négociations entre les Occidentaux et la Russie".

Mais le président Vladimir Poutine a pris de grands risques en choisissant cette voie, avertit Fawaz Gerges. "La Syrie est un véritable bourbier. Elle pourrait devenir le cimetière de l'influence russe au Proche-Orient." (Guy Kerivel pour le service français, édité par Tangi Salaün)