En raison des liens historiques entre l'Arabie et les Etats-Unis, Mohamed ben Salman penchait pour New York avant que le projet d'introduction en Bourse (IPO) d'Aramco ne soit gelé l'an dernier, ont dit les sources, quand bien même des avocats de la compagnie pétrolière et certains conseillers avaient déjà soulevé ces problèmes juridiques.

New York permet d'avoir accès à la plus importante communauté d'investisseurs au monde, un élément essentiel pour une entreprise qui espère lever jusqu'à 100 milliards de dollars (90 milliards d'euros) via cette opération, un montant qui pourrait s'avérer difficile à atteindre sur d'autres places financières.

Le président américain Donald Trump a lui-même exhorté l'Arabie à choisir Wall Street.

Selon une source informée de ce projet d'IPO, le conseil d'administration d'Aramco, composé de ministres et de dirigeants de la compagnie, est parvenu, à l'issue d'une réunion ce mois-ci, à la conclusion selon laquelle une cotation aux Etats-Unis ne sera pas envisagée "sauf si Aramco obtient une immunité souveraine la protégeant de toute procédure juridique".

"C'est bien sûr difficile voire impossible à obtenir", a dit cette source.

Le projet de mise sur le marché de 5% du capital d'Aramco est un élément central du plan Vision 2030 élaboré par Mohamed ben Salman pour transformer l'Arabie saoudite en réduisant sa dépendance au pétrole.

VERS UN PROJET PLUS RÉALISTE ?

Le prince héritier espère obtenir une valorisation de la compagnie à 2.000 milliards de dollars mais ce montant est jugé trop ambitieux aussi bien par certains responsables saoudiens que par des banquiers.

Le choix d'écarter New York de la course et une révision à la baisse de la taille de l'opération indiqueraient que les technocrates au sein d'Aramco et du gouvernement saoudien militent en faveur d'un projet plus réaliste, ont dit les sources.

Cette IPO, qui était initialement prévue en 2017, suscite la convoitise des Bourses de New York, Londres, Hong Kong et Tokyo. Le groupe vise une double cotation, en Arabie saoudite et à l'étranger.

Les responsables saoudiens estiment cependant que la procédure d'IPO à New York et ses règles complexes pourraient légalement altérer la souveraineté du royaume, qui entend rester un actionnaire majeur avec probablement une participation de 95%.

"La cotation à New York n'est plus une option", a déclaré une source du secteur proche du processus d'IPO.

Ryad et Londres font désormais figure de favoris, avec une cotation uniquement saoudienne dans un premier temps avant une autre à l'international ultérieurement, ont dit quatre sources.

Selon trois sources, une cotation d'Aramco à Wall Street exposerait l'Arabie saoudite à la loi Jasta ("Justice Against Sponsors of Terrorism Act"), qui autorise des plaintes contre un Etat pour des attentats commis contre des intérêts américains.

CHANGEMENT CLIMATIQUE

Cette loi ouvre ainsi la voie à des procédures contre l'Arabie saoudite de la part de ceux qui la mettent en cause pour les attentats du 11 septembre 2001. Ryad dément toute responsabilité dans ces attaques, commises par un commando composé en majorité de Saoudiens.

Le royaume pourrait aussi être confronté à la menace d'un projet de loi baptisé Nopec ("No Oil Producing and Exporting Cartels Act"), visant à permettre des poursuites contre les pays étrangers accusés d'entente pour limiter les approvisionnements en pétrole et fixer les cours.

Aramco pourrait enfin être concernée par les procédures judiciaires en cours aux Etats-Unis contre des compagnies pétrolières accusées de favoriser le changement climatique, ont indiqué les sources.

Priée de dire si le projet de cotation à New York était abandonné, Aramco a déclaré dans un communiqué qu'elle "continuait de discuter avec son actionnaire sur les activités de préparation à l'IPO". "L'entreprise est prête et le moment (de l'opération) dépendra de la conjoncture du marché et celui choisi par l'actionnaire", a-t-elle dit.

Le processus d'IPO a été suspendu pour permettre à Saudi Aramco de finaliser la prise de contrôle du groupe de pétrochimie Saudi Basic Industries (Sabic) et l'opération devrait désormais intervenir en 2020 ou début 2021.

Aramco a déjà demandé aux grandes banques internationales de soumettre leurs propositions en vue d'éventuellement décrocher un rôle dans le projet d'IPO, selon deux sources proches du dossier. Elles seront invitées à défendre leurs plans début septembre à Londres, a dit l'une des deux sources.

(Avec Clara Denina à Londres et Stephen Kalin à Ryad; Claude Chendjou pour le service français, édité par Bertrand Boucey)

par Rania El Gamal, Alex Lawler, Marwa Rashad et Hadeel Al Sayegh