Les actuels maîtres du poker sont-ils les maîtres de la finance de demain ? Si elle peut surprendre et amuser de prime abord, la question se pose réellement aujourd'hui, tout simplement parce que les deux sujets ont plus en commun qu'on ne pourrait le penser, à tel point que certains professionnels estime que "le poker est la petite sœur de la bourse".





La première similitude entre le trader et le joueur de poker professionnel est une évidence : chacun d’eux doit manipuler de l'argent (souvent des sommes importantes) et chaque erreur ou mauvaise décision de leur part entraîne des conséquences plus ou moins négatives sur leur portefeuille, quel qu'il soit.

Par ailleurs, au poker comme dans le monde de la finance, il est capital de faire preuve d'un esprit d'analyse et d'une maîtrise parfaite de ses émotions : le joueur de poker professionnel et le trader doivent être capables de lire et comprendre ce qui se passe ailleurs que dans leurs propres mains sans jamais se montrer en position de faiblesse. Il convient dès lors d'analyser la manière dont se comportent les adversaires, en observant avec une grande attention leurs coups précédents, afin de savoir si ces derniers bluffent ou non, le tout en respectant une grande discipline et en ayant une grande maîtrise des règles à suivre. Dans le secteur de la bourse, cela revient notamment à savoir lire les marchés et les valeurs boursières en amont, pour avoir une idée précise de quand il est bon de vendre ou d'acheter. La mise en place d'un plan à suivre et à affûter au fil des coups fait aussi partie des stratégies menées dans les deux univers : plan de jeu d'un côté, plan de trading de l'autre.

Selon le joueur professionnel de poker canadien Daniel Negreanu, qui est l'un des joueurs de poker les plus reconnus et les plus acclamés au monde avec 30 600 000 dollars de gains récoltés à ce jour, un bon sens du contact, une personnalité agressive et de la discipline constituent les caractéristiques d'un bon joueur de poker, des caractéristiques qui sont tout aussi fondamentales pour être un bon trader. Plutôt que de parler d'agressivité, certains évoqueront plutôt l'importance d'une personnalité qui ne montre aucune peur, car c'est quand les professionnels, qu'ils soient issus du milieu du poker ou de la finance, paniquent qu'ils prennent souvent une mauvaise décision.
Les nombreux points communs entre la bourse et le poker sont aujourd'hui si unanimement reconnus que les firmes travaillant sur le marché de la finance recrutent désormais de nouveaux talents en misant davantage sur leur maîtrise du poker que sur leurs diplômes ou leur réseau professionnel. Ce phénomène n'est en rien une surprise pour les experts du sujet, qui expliquent que la force de ces joueurs est leur capacité d'adaptation et de réaction en matière de prise de décision, sans négliger évidemment leur aisance à compter et à mouliner les chiffres en tout genre.

A titre d'exemple, Danon Robinson, qui travaille en tant que recruteur pour Toro Trading à Wall Street, n'est jamais passé par une école de commerce et n'a même jamais suivi de cours de finance ou d'économie. En revanche, il avait derrière lui une expérience de six ans en tant que joueur de poker professionnel. Et cela suffit aujourd'hui à faire toute la différence, selon lui. "Si quelqu'un réussit au poker, il a de grandes chances de rencontrer également le succès sur le marché de la finance", expliquait-il au Los Angeles Time il y a quelques mois. "Si vous n'éprouvez aucun intérêt pour le poker, c'est comme un carton rouge dans le milieu. C'est un signal d'alarme presque aussi grave que de ne pas lire le Wall Street Journal".

Dans cette logique, il y a quelques années, le professionnel a recruté Chris Fargis, un joueur de poker qui a accumulé près de 137 000 dollars au cours de sa carrière après s'être lancé dans le jeu en se formant simplement sur Internet. Les performances et les gains de ce jeune talent lui ont permis de se faire repérer par Toro Trading, qui a voulu lui donner sa chance et une porte d'entrée dans le monde de la finance. Au sujet de ce recrutement, Danon Robinson explique qu’il n’a pas hésité à l’engager quand il en a eu l'occasion puisqu'il sait que "les joueurs de poker ont une grande compréhension des risques et des spécificités des métiers liés au déplacement de capitaux". S'il précise que Chris Fargis n’est pas forcément le meilleur trader de sa boîte, ses points forts sont qu'il progresse très rapidement et, surtout, qu'il ne fait pas de grossières erreurs.

La maîtrise est aujourd'hui le mot-clé des joueurs de pokers qui se reconvertissent en traders. Un mot-clé qui attire logiquement les entreprises. Suivant cet état d'esprit, à Philadelphie, Susquehanna International Group intègre désormais la pratique du poker dans son programme de formation destiné aux nouveaux employés. Ces derniers doivent ainsi obligatoirement lire des ouvrages dédiés comme "Poker Théorie" de David Sklansky. En prime, les 1 500 employés de la firme, nouveaux comme bien installés, ont également l'obligation de jouer au poker au minimum un jour par semaine. "Nous essayons d'enseigner aux gens comment être de bons décideurs dans des situations où l'information dont on dispose est incomplète", d'expliquer Pat McCauley, qui dirige ce programme. "Ce n'est pas un stéréotype sur le bluff ou ce genre de choses — c'est une véritable science". Vous le voyez donc, joueurs de poker ou traders, même état d'esprit, même combat au quotidien...et c'est bien parti pour s'accentuer toujours plus.