Paris (awp/afp) - "Situation dégradée", "risques significatifs", "évolutions préoccupantes": la Cour des comptes, jusque-là conciliante envers la politique budgétaire du gouvernement, a haussé le ton mardi contre l'évolution de la dette publique française, fragilisée par les mesures annoncées après le "grand débat".

"La France est loin d'avoir résorbé ses déficits structurels alors que de nombreux voisins européens ont pratiquement atteint l'équilibre", a souligné la Cour dans son rapport annuel sur les perspectives des finances publiques, évoquant de fortes "divergences" en matière de dette publique.

"Cette divergence accrue entre la France et ses partenaires est préoccupante", a ajouté la haute juridiction financière, qui épingle dans ce document de 150 pages "la lenteur des progrès faits par la France pour réduire son déficit structurel", malgré le retour de la croissance ces dernières années.

Dans son programme de stabilité budgétaire, envoyé fin avril à Bruxelles, le gouvernement abaissé ses objectifs budgétaires afin de tenir compte du ralentissement de la croissance et des mesures d'urgence annoncées face au mouvement des "gilets jaunes".

Selon le ministère de l'Économie et des Finances, le déficit public devrait ainsi atteindre 3,1% du produit intérieur brut (PIB) cette année, puis 2% du PIB en 2020, 1,6% en 2021 et 1,2% en 2022 -- alors que le gouvernement prévoyait à l'origine un quasi retour à l'équilibre budgétaire pour la fin du quinquennat.

La dette publique, quant à elle, devrait passer de 98,4% en 2018 à 96,8% en 2022, après un pic à 98,9% cette année. Sur l'ensemble du quinquennat, la baisse atteindrait 1,6 point de PIB, alors que l'exécutif promettait initialement un recul de cinq points de PIB.

Dérapage budgétaire

Pour la Cour des comptes, ces objectifs sont insuffisants et sont "affectés par de nombreux risques".

Concernant 2019, le risque de dépassement de l'objectif de déficit est certes "modéré". En revanche, "l'évolution attendue" recèle "deux évolutions préoccupantes": le "déficit structurel", jugé trop élevé, et la "dette publique", qui continue d'augmenter, "à rebours de l'évolution de la majorité de nos partenaires de la zone euro".

Concernant 2020 et au-delà, la trajectoire retenue est "fragilisée par les annonces faites à la suite du grand débat national", estiment les magistrats financiers, qui épinglent notamment le flou entourant le financement des cinq milliards d'euros de baisses d'impôt sur le revenu promis par Emmanuel Macron.

Le Premier ministre Edouard Philippe a récemment assuré que ce geste fiscal serait compensé par trois types de mesures d'économies: la suppression d'organismes publics jugés inutiles, l'allongement du temps de travail et la réduction de certaines niches fiscales sur les entreprises.

"Mais compte tenu de l'ampleur des mesures annoncées, il paraît peu probable que cette compensation puisse être intégrale sur l'exercice 2020", avance la Cour, qui évoque un dérapage budgétaire pouvant aller de 0,1 à 0,3 point l'an prochain, selon l'importance des économies retenues.

Charge de la dette allégée

"La poursuite annoncée du mouvement de baisse des prélèvements obligatoires ne saurait se traduire, compte tenu du niveau élevé tant de la dette que des déficits, par un relâchement des objectifs" de réduction de la dette, met en garde l'institution présidée par Didier Migaud.

"Elle doit s'accompagner de l'effort en dépenses indispensable pour permettre à la France de garder la pleine maîtrise de ses choix budgétaires".

Cette mise en garde intervient alors que le débat se trouve relancé sur l'opportunité de poursuivre la politique de lutte contre la dette publique dans un contexte de taux historiquement bas.

Pour la première fois de son histoire, le rendement obligataire de la France à dix ans, c'est-à-dire le taux auquel le pays emprunte sur les marchés financiers, est passé la semaine dernière en territoire négatif. Ce phénomène, qui n'a duré que quelques heures, a eu un fort écho symbolique, un taux négatif impliquant qu'on gagne de l'argent en empruntant.

"Il serait imprudent de compter sur un maintien durable des taux d'intérêt à un niveau bas", estime pourtant la Cour dans son rapport. "L'expérience historique enseigne en effet que les hausses de taux d'intérêt peuvent être brutales, surtout pour un pays qui, comme la France, a un niveau de dette publique nettement supérieur à certains de ses voisins".

afp/jh