par Alan Wheatley

VENISE, 26 décembre (Reuters) - Dans le contexte de crise qui frappe actuellement l'Europe et l'entraîne dans la récession, le poids de la Chine ne peut que s'accroître en Europe, d'autant que les dirigeants de la zone euro souhaitent voir Pékin investir une part accrue de ses 3.200 milliards de dollars de réserves dans les économies de la région.

Les financiers se tournent certes instinctivement vers une Chine en pleine croissance pour chercher de potentiels acquéreurs d'actifs à saisir alors que les Etats européens, les banques et les entreprises de la région sont en difficulté.

Emblématique d'une tendance qui devrait se renforcer, le groupe chinois Trois Gorges a racheté la semaine dernière à l'Etat portugais une participation de 21,35% dans la société de services aux collectivités Energias de Portugal (EDP). (voir )

Mais, en dépit de l'intérêt exprimé par les dirigeants chinois pour la diversification de leurs actifs détenus à l'étranger, les analystes ne s'attendent pas pour autant à assister à une profonde mutation d'une expansion chinoise traditionnellement prudente sur les marchés occidentaux. L'Afrique et l'Asie devraient ainsi rester les cibles privilégiées de la Chine pour le moment.

"Il va y avoir des opportunités à saisir mais la Chine ne va pas se mettre à racheter l'Europe", commente Thilo Hanemann, directeur de la recherche chez Rhodium Group.

RETENUE

Cette prudence s'explique de plusieurs manières.

Tout d'abord, les longs délais nécessaires à l'obtention d'un feu vert de la part des régulateurs à Pékin désavantagent les entreprises chinoises lorsque le vendeur des actifs visés souhaite voir l'opération conclue rapidement.

Les groupes chinois ne disposent par ailleurs pas de l'expérience en matière de gestion nécessaire à l'intégration rapide et sans accrocs d'actifs étrangers.

Enfin, de manière générale, les perspectives restent bien plus encourageantes en Chine qu'en Europe.

"Si l'on compare les taux de croissance en Chine et en Europe, est-ce faire preuve de bon sens que de racheter une marque qui a déjà derrière elle ses meilleures années de croissance?", interroge Edward Radcliffe, de Vermillon, une société de conseil en M&A spécialisées dans les opérations chinoises à l'international.

Il ajoute toutefois qu'un certain nombre d'importants groupes chinois, publiques et privées, ont commencé à étudier des opportunités en Europe et aux Etats-Unis.

L'Union européenne est le premier marché des exportateurs chinois. Mais les investissements direct étrangers (IDE) sont à la traîne, s'élevant au total à huit milliards de dollars (six milliards d'euros) selon l'UE, ou 12 milliards de dollars selon les calculs de Pékin, ce qui représente moins de 0,2% de l'ensemble des IDE en UE, selon la société Rhodium, qui évalue de son côté les IDE chinois en UE à 15 milliards de dollars.

Thilo Hanemann se dit certain que des opérations seront menées en Europe en 2012, notamment dans les secteurs de la technologie et des produits de grande consommation, afin de permettre aux entreprises chinoises d'acquérir des parts de marché.

"Au final, les entreprises chinoises sont vouées à devenir de véritables multinationales, comme les entreprises japonaises ou coréennes avant elles", explique-t-il. "A long terme, il n'y a pas de raison de penser que la Chine prendra une voie différente."

Il doute cependant de la capacité des groupes chinois à saisir les opportunités qui surgiront dans les années à venir.

"Il y a beaucoup d'opérations que les chinois ne pourront pas remporter. Si le gouvernement chinois voit un groupe faire une offre pour des actifs fragiles et risquer de provoquer une réaction politique violente en Europe, je pense qu'il interviendra pour s'assurer que cela ne met pas la Chine dans l'embarras."

ENJEUX POLITIQUES

L'échec du rachat par des Chinois du constructeur automobile suédois Saab, mis en liquidation la semaine dernière, est un exemple significatif des difficultés que rencontrent les investisseurs chinois, explique Thilo Hanemann.

En opposant son veto à un projet visant à impliquer le chinois Zeijiang Youngman Lotus Automobile, General Motors , ancien propriétaire de Saab et disposant de brevets technologiques clés ainsi que d'une petite participation, a incité Swedish Automobile, maison-mère de Saab, à cesser de chercher les financements qui auraient pu permettre de sauvegarder l'entreprise.

Mais, cependant, tout est loin d'être aussi négatif. Un autre constructeur suédois, Volvo, a ainsi été racheté à Ford en 2010 par le chinois Geely.

Selon Christine Lamber-Goue, directrice générale chez Invest Securities China, les groupes chinois cherchent avant tout à racheter des marques, des brevets et des technologies susceptibles de renforcer leur position sur le marché intérieur.

"Les groupes ne sont prêts à payer pour des actifs en Europe que si cela leur permet de gagner des parts de marché en Chine", explique-t-elle.

L'investissement en Europe finira par décoller, mais la dégradation du climat politique représente un obstacle à court terme, ajoute de son côté Jonathan Holslag, du Brussels Institute of Contemporary China Studies.

L'UE et les Etat-Unis critiquent vigoureusement le "capitalisme d'Etat" chinois tandis que Pékin craint la montée du protectionnisme en réaction à son expansion économique.

"L'Union européenne n'est pas satisfaite de la réticence de Pékin à ouvrir davantage son économie, tandis que Pékin se plaint de la frilosité de l'Europe à partager ses connaissances ou à autoriser les investisseurs chinois à étendre leur présence dans d'importants secteurs, comme les infrastructures", explique Jonathan Holslag.

S'ajoute à cela le risque que l'Europe, en grande difficulté économique, fasse de la Chine un bouc émissaire.

"Plus les Etats sont confrontés à des chiffres du chômage élevés, plus ils percevront la Chine comme un ennemi et non comme un soutien", résume Jonathan Holslag. (Catherine Monin pour le service français, édité par Marc Angrand)

Valeurs citées dans l'article : SWEDISH AUTOMOBILE, EDP