Bombay (awp/afp) - La bataille pour le contrôle du groupe Tata, plus grand conglomérat indien, s'est accentuée cette semaine, son patron brutalement évincé ayant décidé de porter l'affaire en justice.

Premier PDG de ce groupe vieux de 150 ans à ne pas être issu des rangs de la famille Tata, Cyrus Mistry avait été débarqué fin octobre en raison de ses différends avec le patriarche Ratan Tata.

Mais, tranchant avec les usages de la communauté parsie de Bombay où les différends se règlent normalement à huis clos, M. Mistry a refusé de partir sans bruit.

Ne digérant pas son renvoi, il a accusé en public ce conglomérat emblématique de l'économie indienne de mauvaise gestion, concrétisant ses propos par le dépôt d'une plainte devant la justice mardi.

Soupçonnée de léser ses actionnaires minoritaires, la maison mère Tata Sons conteste ces allégations.

Incidemment, la famille de Cyrus Mistry a, par l'intermédiaire du groupe de son père - le magnat Shapoorji Pallonji Mistry -, investi dans le groupe Tata depuis un demi-siècle et est le premier actionnaire individuel de Tata Sons, avec 18,5% des parts.

"Mon combat continuera. Il ne va pas seulement continuer, il va s'intensifier", a déclaré Cyrus Mistry à l'agence Bloomberg après avoir déposé sa plainte.

Ces règlements de compte ont déjà coûté au groupe, qui pèse 103 milliards de dollars et dont l'éventail des activités va du sel à l'acier, une perte de neuf milliards de valeur boursière.

Pour les experts, au-delà des querelles d'ego, cette confrontation risque de ternir l'image de respect qu'inspire traditionnellement le groupe Tata.

"Aucune des entreprises Tata ne va particulièrement bien", note pour l'AFP un homme d'affaire de Bombay qui a travaillé avec le groupe, décrivant les problèmes soulevés par l'ex-PDG comme un "réveil" pour les investisseurs.

Mécontent de la direction empruntée par Cyrus Mistry, qui poursuivait une stratégie de désinvestissement et de désendettement, Ratan Tata, 78 ans, a évincé le successeur qu'il avait lui-même adoubé.

Le patriarche est soudain revenu sur le devant de la scène en reprenant, à titre provisoire, les rênes du groupe qu'il avait métamorphosé à coups d'acquisitions spectaculaires durant ses deux décennies de règne au tournant des XXe et XXIe siècles.

"Quand une personne prend sa retraite, elle doit complètement se détacher", estime Kavil Ramachandran de l'Indian School of Business. "C'est comme une course de relais. La personne qui passe le bâton doit savoir quand et comment le faire."

- Parti pour durer -

Bien que Tata et Mistry soient issus de la même communauté parsie - adepte du zoroastrisme, l'une des plus vieilles religions du monde -, les ressemblances entre les deux hommes s'arrêtent là.

"Il y a une énorme divergence de style, d'analyses et de valeurs entre les deux hommes", explique l'homme d'affaires de Bombay, qui a fréquenté les deux.

Cyrus Mistry n'a pas retenu ses coups depuis son éviction. Dans une lettre au conseil d'administration de Tata Sons, il a estimé que presque toutes les branches du groupe souffraient d'endettement et étaient pauvrement gérées.

Selon lui, les actifs d'acier en Europe pourraient potentiellement connaître une dévaluation de 10 milliards de dollars, dont seule une partie a été jusqu'ici prise en compte.

Cyrus Mistry comptait se débarrasser des activités de Tata Steel en Grande-Bretagne, lourdement déficitaire - une décision qui a été annulée depuis son éviction.

Il s'est également interrogé à haute voix sur la pertinence de la symbolique voiture bon marché Tata Nano, chère à Ratan Tata mais qui ne se vend pas.

Pour Mahesh Singhi, du fonds d'investissement Singhi Advisors, cette saga a d'ores et déjà "flétri l'image du plus grand conglomérat indien d'une manière encore jamais vue dans l'histoire des affaires de ce pays ces dernières années".

"Ca sera très clairement mauvais pour le groupe Tata", analyste-t-il. "Il faut que les investisseurs se préparent à une bataille qui va durer."

afp/rp