RIO DE JANEIRO (awp/afp) - La lune de miel entre le président Jair Bolsonaro et les marchés qui avaient salué son élection au Brésil avec euphorie est terminée, après deux mois de mandat ayant montré les difficultés de la réforme des retraites et des résultats économiques décevants.

La gestion politique chaotique du gouvernement du président d'extrême droite entré en fonction au 1er janvier a également joué un rôle dans le refroidissement de l'ambiance, ont indiqué des analystes.

Le principal reproche que font les investisseurs à Jair Bolsonaro est de ne pas avoir clairement endossé la réforme des retraites élaborée par son ministre de l'économie ultra-libéral Paulo Guedes, qu'ils jugent indispensable au redressement des finances publiques.

La Bourse de Sao Paulo, qui a battu depuis le début de l'année une douzaine de records historiques et a frôlé les 100.000 points, a nettement reflué pour fluctuer désormais autour des 95.000 points.

Elle ne gagne plus depuis début janvier que 8% au lieu de 12% au plus fort de l'enthousiasme des marchés.

Le réal, qui avait progressé jusqu'à 3,65 réais pour un dollar après la prise de fonction de Jair Bolsonaro, est retombé à 3,87 vendredi.

Le chef de l'Etat a semé la confusion en février en déclarant que l'âge de départ à la retraite avec un taux plein pour les femmes pourrait être de 60 ans au lieu des 62 ans annoncés dans le projet de Paulo Guesdes. Et, surtout, il a déployé bien peu d'énergie pour défendre cette réforme impopulaire.

Pour corriger le tir, Jair Bolsonaro a publié jeudi un tweet défendant avec ardeur la réforme de son "Chicago boy" de ministre. "Les progrès dont le Brésil a besoin dépendent de l'approbation (au Congrès) de la nouvelle retraite. Elle permettra au pays de stabiliser ses finances, renforcer les investissements (..) diminuer (le poids de) la machine publique", a-t-il écrit.

Deux polémiques

"Nous savions qu'il y aurait beaucoup de turbulences dans le processus de réforme des retraites. Et là il n'y a pas eu de surprise", a déclaré à l'AFP Sergio Vale, des consultants MB Associados. "Ce qui a étonné, c'est l'instabilité du président. Nous avions imaginé qu'il croyait davantage aux réformes" économiques.

Les réactions suscitées par les interventions intempestives sur les réseaux sociaux de l'ancien capitaine de l'armée ont apporté une préoccupation supplémentaire.

Le président brésilien a suscité deux polémiques dans la seule semaine écoulée. Il a diffusé mardi sur Twitter une vidéo pornographique afin de dénoncer les dérives d'un carnaval irrévérencieux qui ne l'a pas épargné.

Deux jours plus tard, cet apologue de la dictature (1964-85) affirmait que "la démocratie et la liberté n'exist(ai)ent que si les forces armées le veulent", poussant son vice-président à nuancer rapidement ses propos et un ministre à dire qu'ils avaient été "mal interprétés".

"Une nouvelle déclaration, un nouveau recadrage, la préoccupation des investisseurs c'est que ce type de +bruit+ à la Donald Trump devienne la règle et non plus l'exception, ce qui est mauvais autant pour les affaires que pour les réformes", ont écrit vendredi les consultants Infinity Assets dans une note de conjoncture.

"Semestre très agité"

"Le reflux de l'optimisme des investisseurs au Brésil se justifie, entre autres facteurs, par la publication d'indicateurs économiques plus faibles qu'espérés (indice de confiance, production industrielle, etc.)", a estimé Nicolas Takeo, des courtiers Socopa, auprès de l'AFP.

Quant au PIB, les projections 2019 n'ont cessé de baisser après une année 2018 décevante avec une croissance de 1,1%. Les marchés, qui tablaient sur +2,57% au début février, n'attendent plus que 2,3%, selon la dernière enquête Focus de la Banque centrale.

L'OCDE ne prévoit plus de son côté pour la première économie d'Amérique latine qu'une croissance de 1,9%, contre 2,1% en novembre dernier.

Pour M. Takeo, il est "difficile d'évaluer si les investisseurs ont accordé trop de crédit politique au gouvernement de Bolsonaro". Mais Paulo Guedes, avec un projet de réforme des retraites volontariste, "a provoqué des divergences", ajoute-t-il. "Certains opérateurs pensent qu'elle sera beaucoup plus difficile à faire approuver par le Congrès".

Sergio Vale estime que la réforme ne pourra pas commencer à être votée, dans le meilleur des cas, avant la fin juin. Il faudra aussi à Jair Bolsonaro réunir une majorité des trois cinquièmes du Congrès, ce qui est loin d'être acquis.

Nous allons avoir "un premier semestre très agité sur les marchés", prédit-il.

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