"(Easybourse.com) Que vous inspire la récente démission du président de Vinci suite à son différent sur sa rémunération avec son directeur général ?
Il faut d'abord se garder de tout amalgame et faire la part des choses. Les gains potentiels très significatifs sur les stock-options attribuées à Antoine Zacharias ne me choquent pas car Vinci a plus que triplé sa capitalisation en dix ans. Il y a sans aucun doute contribué. Et si les chiffres évoqués sont importants, les actionnaires et les salariés ont eux aussi profité de la création de richesse.

En revanche, les conditions de sa démission, qu'il semble vouloir contester aujourd'hui, ont fait grincer des dents car elles ont révélé une accumulation d'avantages qui a laissé une impression désagréable de grande âpreté au gain chez un homme de 66 ans dont la retraite sera des plus confortables.

Quelles conclusions en tirez-vous du point de vue de la gouvernance des entreprises ?
Pour éviter qu'un tel éclat ne se reproduise, il faut que les comités de rémunération réunissent trois atouts. Ils doivent disposer du temps nécessaire à leur mission, leurs membres doivent posséder une bonne compréhension des systèmes de rémunération et, surtout, leur indépendance de jugement doit être garantie. Cela, notamment par l'absence de tout lien personnel et professionnel avec les dirigeants opérationnels et avec l'entreprise. Leur capacité de dire non et d'être entendus par les conseils d'administration me paraît être la pierre angulaire d'une bonne gouvernance.

Il n'en reste pas moins que les « packages » de rémunération des dirigeants français ont connu une notable inflation ces dernières années. Ce n'est pas le fruit du hasard. Les entreprises se sont internationalisées en incorporant au passage des cadres originaires de pays où les rémunérations étaient plus coquettes, je pense en particulier aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et à l'Allemagne. Par ailleurs, elles se sont considérablement développées. Ainsi, la Société Générale de Marc Viénot n'est plus la même que la Société Générale de Daniel Bouton. Des organisations plus grandes et plus complexes à piloter justifient des émoluments plus importants.

Croyez-vous que cette « l'affaire Vinci » aura un impact durable sur le comportement des entreprises ?
Chaque évènement laisse sa trace comme cela a été le cas avec la retraite de Daniel Bernard quand Carrefour l'a remercié. Côté positif, je pressens une forte incitation à l'autonomie des comités de rémunération. Côté négatif, l'image de marque des grands patrons en sort ternie alors que nombre de groupes n'ont pas à rougir de leurs pratiques. Chez Pernod Ricard qui a connu une croissance phénoménale au point de devenir un des leaders de son secteur, la rémunération des dirigeants a évolué bien moins rapidement.

La notion de rémunération maximale a-t-elle du sens appliquée à des dirigeants d'entreprises ?
En premier lieu, force est de constater qu'une approche globale et comparée de tous les éléments de la rémunération se révèle très compliquée. Sur la partie en « cash » c'est encore possible. Mais pour la retraite, cela devient délicat puisque, hors l'aléa de l'âge, les régimes en cause sont à prestation définie. Le dirigeant ne peut donc y prétendre que s'il est présent dans l'entreprise au moment de sa retraite. Quant aux attributions de stock-options, une approche comptable n'a pas de sens. L'exemple de Vallourec l'illustre à l'envi : les dirigeants qui ont reçu des stock-options à environ 50 euros ont vu leur plus-value potentielle exploser quelques années plus tard quand l'action a atteint 1 100 euros. Leur attribuer des options aujourd'hui ne leur offrirait évidemment pas les mêmes perspectives de gain.

Par ailleurs, les rémunérations dépendent également du secteur d'activité de l'entreprise ou de ses marchés. Publicis ne se compare pas à Michelin. L'une très rentable, qui s'est constituée à coup de rachats d'agences de publicité, repose sur la créativité et le carnet d'adresses d'hommes et de femmes dont le départ serait un appauvrissement pour l'organisation. L'autre est un géant industriel du pneu que l'on quitte sans emmener avec soi du chiffre d'affaires. De même, là l'international, l'assureur AXA se développe dans des pays à haut revenus alors que le distributeur Casino (75% du CA en France) opère dans des pays aux rémunérations nettement moins élevées tels que le Brésil ou l'Asie. Comment dès lors mener des politiques comparables de rémunération ?

Quelle méthode préconiseriez vous pour que cette rémunération soit du moins ressentie comme équitable ?
On pourrait raisonner en multiple du salaire moyen de l'entreprise ce qui tiendrait compte du secteur d'activité. Pour autant, je ne plaiderai pas pour un plafonnement des rémunérations car il faut laisser les acteurs du système assumer leurs responsabilités. Dans ce domaine une loi serait moins efficace que la combinaison des jeux entre actionnaires, analystes, « proxy », fonds d'investissement…

Au Pays-Bas, les rémunérations des dirigeants sont maintenues à un niveau jugé raisonnable en raison notamment des fortes pressions exercées par les fonds de pension locaux qui figurent parmi plus gros investisseurs. Au Royaume-Uni, les « packages », accompagnés des objectifs de performance, sont présentés de manière très détaillée aux assemblées générales des actionnaires qui les votent. Pourquoi ne pas s'en inspirer ?

- 27 Juin 2006 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

"