Le marché scrute la mer Noire

Pour autant, force est de constater que les relais haussiers ne manquent pas. Au contraire, d’importants risques de production pèsent sur les filières du blé, notamment au sein d’une zone géographique hautement stratégique, la mer Noire. Il faut rappeler que cette région du globe tend, de par sa production, à s’imposer comme le nouveau centre névralgique du marché du blé (à lire ici : La Russie, nouveau grenier du monde). L’offre émanant de la Russie, premier exportateur mondial, en est par conséquent affectée.

L’adoucissement du climat, qui faisait le bonheur des exploitations russes et ukrainiennes sur la dernière campagne, tourne cette année au vinaigre. Les producteurs russes doivent effectivement faire face à des conditions climatiques plus délicates, les cultures étant minées par de vastes épisodes de sécheresse. Conséquence inéluctable, les cas de déficits hydriques se multiplient, entrainant in fine une baisse non-négligeable des rendements. Le ministre de l’Agriculture russe, Dmitri Patrouchev, à lui-même indiqué que les récoltes de céréales baisseraient en raison des sécheresses, sans pour autant donner plus de précision sur l’offre de blé de la présente campagne.

On peut donc à ce titre se tourner vers d’autres sources, notamment vers l’US Department of Agriculture (USDA) ou bien l’International Grains Council (IGC). L’USDA ne cache pas son pessimisme en tablant sur une production de 68,5 millions de tonnes de blé (contre près de 85 millions de tonnes pour la précédente campagne). Du côté de l’IGC, l’agence intergouvernementale se montre plus prudente avec des prévisions de l’ordre de 74,5 millions de tonnes (voir graphique). Les différences sont notables, mais une certitude demeure, la production russe revient vers sa moyenne des précédentes campagnes, offrant un véritable soutien au marché.

Evolution de la production et des exportations de blé russe – source : IGC
 
Le potentiel de récolte en Europe inquiète

Notons par ailleurs que les sécheresses n’épargnent pas les pays de l’Union européenne. Des records de chaleurs ont été enregistrés en Europe du Nord au deuxième trimestre, limitant les rendements des cultures de blé, au grand dam des producteurs européens. La production européenne de blé est en conséquence elle aussi révisée à la baisse, d’environ 8% par rapport à la précédente campagne selon les prévisions du COPA-COGECA (regroupant des organisations syndicales et professionnelles agricoles), qui avance une offre de l’ordre de 131 millions de tonnes de blé.

Tandis que la récolte américaine est moins catastrophique que prévue

Outre-Atlantique, la météo capricieuse apporte aussi son lot d’incertitude. Les producteurs américains faisaient face à l’une des pires récoltes de blé d’hiver en 15 ans (avec une part des blés de qualité jugé « bonne à excellente » de seulement 32%), forçant une partie d’entre eux à changer de production en cours de saison. Une situation très préoccupante, d’autant plus que le blé d’hiver constitue la part la plus importante des exportations de blé américain.

Néanmoins, la situation s’est depuis sensiblement améliorée, en atteste la progression des récoltes de bonne qualité, qui sont estimées aujourd’hui à près de 40%.

Des tensions commerciales qui tirent tout le compartiment vers le bas

Au-delà des fondamentaux spécifiques au marché du blé, les cours de ce dernier demeure lesté par le bras de fer commercial engagé entre les Etats-Unis et la Chine.

Les incertitudes se matérialisent bel et bien autour du soja (la Chine ayant prévu d’imposer à partir du 6 juillet d’importants droits de douane sur le soja américain, alors que les Etats-Unis exportent près d’un tiers de leur production vers l’ogre chinois), qui évolue sur des plus bas de 10 ans. Ces prix moins rémunérateurs pourraient inciter des producteurs américains à stopper les cultures de soja au profit d’autres variétés, telles que le blé ou le maïs, tirant in fine à la baisse l’ensemble du segment des matières premières agricoles.

A la lumière de ces éléments, l’indécision gagne les opérateurs. Il n’en demeure pas moins que cette phase de réflexion pourrait céder sa place à une dynamique nettement plus tranchée dans les prochaines semaines. Plus concrètement, si les mauvais rendements se confirment et tendent à devenir légion en mer Noire et en Europe, un rallye haussier des cours du blé ne serait en aucun cas un scénario fantaisiste. La patience est donc de mise, les opérateurs attendant le déclic.