Leader européen des technologies de paiement, Worldline ne sera plus détenu qu'à hauteur de 27,4% de son capital par AtoS à compter du 7 mai prochain. L'ancienne maison-mère s'en désengage progressivement depuis 2014.
 
Graphique Worldline
 
Nous discutions dans notre présentation de PayPal — autre position des portefeuilles Zonebourse, cette fois-ci aux Etats-Unis — de la dynamique du secteur. Engagés dans une même course à l'échelle, les acteurs du secteur les mieux capitalisés consolident leur position compétitive à grands renforts d'acquisitions successives.
 
Objectif : reproduire dans la gestion des paiements électroniques la domination quasi complète atteinte par Visa et MasterCard dans la gestion des cartes de paiement.
 
Dernière en date, l'acquisition à $43 milliards du britannique Worldpay par l'américain Fidelity National Information Services — précédée de peu par le rachat à $39 milliards de First Data par Fiserv — a défrayé la chronique outre-Manche. Comparable direct de Wordline, Wordpay a connu une croissance fulgurante au Royaume-Uni, mais peinait à conquérir le continent européen. 
 
La capacité à réaliser ces opérations de croissance externe va séparer les gagnants des perdants dans la redistribution des cartes actuellement à l'œuvre : grâce à leurs marchés de capitaux incomparablement plus larges, il semble que les poids-lourds américains aient — comme de coutume — la main haute.
 
Cet handicap apparent n'a pas empêché le groupe français Worldline de tirer son épingle du jeu : il a lui aussi enchaîné les acquisitions, certes plus modestes mais pas moins astucieuses — comme par exemple celles d'Equens, PaySquare, KB ou Digital River — et progressivement réussi à agrandir son pré carré, jusqu'à se hisser à la première place en Europe. 
 
Avec 1,7 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2018, Worldline devance Nets et Worldpay (1,3 milliard d'euros de chiffre d'affaires en Europe) et son compatriote Ingenico (1,2 milliard). Derrière, Nexi, First Data et Wirecard n'y ont toujours pas dépassé le milliard de chiffre d'affaires (en Europe); la course est perdue pour les autres en queue de peloton, qui n'ont désormais plus qu'à espérer qu'on leur fasse une généreuse offre de rachat.
 
Cette pôle position de Worldline découle directement de l'acquisition réussie du suisse Six Payment Services, qui prit 27% du capital du groupe français lors de la transaction, en plus de 280 millions d'euros en cash : en joignant leurs forces, les deux groupes consacrent leur domination dans les services aux marchands (1 milliard d'euros de chiffre d'affaires attendu en 2019) et aux grandes institutions financières (0,8 milliard), tandis que sont développés en parallèle des services innovants dans le paiement en ligne, le segment en plus forte expansion des trois. 
 
Signalons également que Worldline comme Six jouissent d'une excellente pénétration du secteur bancaire, dont ils sont chacun des interlocuteurs privilégiés depuis longtemps — Six, en particulier, a très bien verrouillé le marché suisse. Anecdotiques en apparence, ces relations de confiance sont en fait un avantage compétitif déterminant, car le degré de sophistication nécessaire pour répondre favorablement aux draconiennes régulations techniques et juridiques est si élevé que peu d'acteurs ont voix au chapitre ; sauf cataclysme, celui qui y est y reste.
 
Naturellement, plus Wordline consolide, plus son avantage compétitif sur le continent se fortifie : outre l'échelle — qui permet de réduire le coût de transaction unitaire, et par extension augmenter les marges — le très vertueux "effet réseau" rend sa plate-forme de services toujours plus incontournable.
 
Ces éléments ajoutés les uns aux autres contribuent à élever de fortes barrières à l'entrée : si le management de Worldline continue d'exécuter aussi bien qu'il le fit ces dernières années, le groupe deviendra impossible à rattraper... Du moins par ses pairs européens.
 
Au niveau financier, et comme nous le mentionnions dans l'article consacré à PayPal : parmi toutes les manias boursières du moment – voiture électrique, coworking, réseaux sociaux, etc. – l'industrie des paiements électroniques est la seule à produire des profits significatifs. Worldline ne fait pas exception, et délivre un free cash-flow — aisément réconciliable avec le résultat comptable — avant acquisitions d'environ 200 millions d'euros sur l'exercice précédent (attention, la part qui revient aux actionnaires est à amputer de celle qui revient aux intérêts non-consolidés). 
 
En croissance régulière (moyenne annuelle de 16% depuis 2014), ce profit vient compléter une position financière a priori très saine, qui laisse au management une appréciable latitude pour prendre du levier et continuer de dérouler sa stratégie de croissance externe. 
 
La valorisation du groupe reflète son parcours exceptionnel et, au premier coup d'oeil, l'action s'échange à des multiples élevés — c'est-à-dire à 41x le profit attendu en 2019, et 32x le profit attendu en 2020. Cependant, le groupe a désormais atteint une échelle qui lui permet de capitaliser à plein sur sa position dominante et les fameuses synergies qui en découlent : confiant, le management anticipe d'ailleurs de multiplier par deux le free cash-flow d'ici trois ans.
 
Ces projections apparaissent tout à fait crédibles si Worldline parvient à émuler la réussite de ses pairs américains sur le marché européen. Récemment revu à la hausse, le consensus des analystes qui suivent le groupe va justement en ce sens : c'est le signal déclencheur qu'attendait Zonebourse pour l'intégrer au portefeuille Europe PEA — géré sur la base d'une notation quantitative qui, les lecteurs le savent bien, intègre des dizaines de paramètres différents : position financière, croissance, publications supérieures aux attentes des analystes, etc.
 
Accessoirement, en se référant aux multiples observés ces derniers temps dans les diverses opérations de fusion-acquisition au sein du secteur — généralement compris entre 5x et 10x le chiffre d'affaires — la valorisation de Worldline s'inscrit pour l'instant dans la fourchette basse, à environ 5-6x le chiffre d'affaires attendu en 2019.
 
Accorder du crédit à cet indicateur revient toutefois à supposer que le groupe pourrait à son tour devenir une cible d'acquisition : bien qu'intéressant, un tel scénario semble peu probable, à moins que les Européens — et plus particulièrement les Français — estiment opportun de laisser filer leurs champions technologiques à l'étranger.
 
(L'auteur n'est pas actionnaire.)