Régulièrement commentées dans cette rubrique, les tensions géopolitiques au Moyen-Orient atteignent un nouveau stade après l’attaque présumée de deux tankers dans le Golfe d’Oman, à proximité du détroit stratégique d’Ormuz (à lire ici : Deux tankers "attaqués" près du détroit d'Ormuz). Les Etats-Unis et l’Iran se renvoient la balle quant à leur responsabilité dans cet incident, accentuant davantage la méfiance entre les deux pays. Rappelons que ces évènements sont survenus après le sabotage de quatre autres pétroliers au large des Emirats Arabes Unis, ainsi que l’intensification des attaques de drones lancés par les milices houthis, soutenues par l’Iran, contre des infrastructures saoudiennes.

Cette région du globe devrait ainsi continuer à concentrer l’attention des opérateurs financiers et des négociants. Les enjeux demeurent considérables puisque le détroit d’Ormuz constitue la voie navigable la plus importante pour le commerce de pétrole brut. Près d’un tiers de la production mondiale y transite, un axe vital pour bon nombre de pays producteurs. A ce titre, toutes les exportations de pétrole du Koweït, de l'Iran, du Qatar et de Bahreïn, empruntent ce détroit, ainsi qu’une très grande partie de celles de l'Arabie Saoudite, de l'Irak et des Emirats Arabes Unis.

Toujours sur le front géopolitique, Téhéran a fait savoir que le plafond d’uranium faiblement enrichi fixé par les accords de Vienne sera dépassé dans quelques jours, actant de ce fait la réduction des engagements de l’Iran sur le nucléaire. En parallèle, Washington accroît sa présence au Moyen-Orient en renforçant son dispositif militaire de 1000 soldats.

Naturellement, ces frictions d’ordre géopolitique tendent à créer de la pression sur les cours du brut, qui, paradoxalement, peinent à maintenir une trajectoire haussière depuis début mai.  Il faut, pour démêler ce contresens, s’attarder sur les fondamentaux du marché, toujours déprimé par les craintes d’abondance de pétrole. La dynamique des stocks de brut cristallise à juste titre ces inquiétudes, ces derniers ne parvenant pas à basculer en deçà de leur moyenne à 5 ans.


Evolution des stocks US – source EIA
 
Plus concrètement, les stocks de brut demeurent significativement plus élevés que les niveaux enregistrés l’année dernière, un constat que l’on peut faire à la fois aux Etats-Unis mais aussi globalement, à l’échelle des pays de l’OCDE. Cette dynamique inquiète d’autant plus qu’en parallèle, l’OPEP et ses alliés mettent les bouchées doubles pour contenir l’offre mondiale, et ce, en plus du retrait progressif de l’Iran et du Venezuela, dont la production chute fortement en raison de sanctions et de difficultés économiques.

C’est pourquoi nous avançons avec conviction le postulat de problématiques structurelles, empêchant le rééquilibrage des marchés pétroliers. Le diable se cacherait probablement du côté de la demande. A ce titre, l’AIE et l’OPEP ont tous deux revu à la baisse leurs prévisions de croissance de la demande dans leur dernier rapport mensuel. Sans grande surprise, les tensions commerciales sont pointées du doigt, ainsi que leurs conséquences sur la croissance mondiale.

Le second fautif demeure évidemment l’essor des schistes américains, qui franchissent chaque mois de nouveaux paliers en termes de production. L'EIA prévoit que la production américaine augmentera de 1,36 million de barils par jour (mbj) en 2019 et de 0,94 mbj en 2020, avec une production moyenne de 13,3 millions de barils par jour en 2020.
 

Prévision de la production US et contribution par région – source : EIA
 
Bien que la soutenabilité de la croissance des pétroles de schistes US dans les prochaines années divise les experts, une chose est certaine, les Etats-Unis jouissent d’une position de supériorité sur les marchés pétroliers. L’évolution des exportations américaines de pétrole brut est à l’image de cette suprématie grandissante. Les Etats-Unis exportent près de 3 mbj, vers 27 destinations différentes. Afin d’apprécier la puissance de cette dynamique réalisée en quelques années, il convient de garder à l’esprit que l’Arabie saoudite exporte un peu plus de 7 mbj.

Ceci raisonne comme une évidence, les producteurs américains sont à la conquête de parts de marché et disposent d’une panoplie d’armes fournie pour mener à bien cette expansion (à lire ici : Quand Les Etats-Unis fracturent le marché pétrolier). Loin des considérations américaines, l’équilibre du marché n’est pas leur problème, mais c’est justement celui des autres pays producteurs.
 

Evolution des exportations américain de brut et répartition des destinations – source : EIA
 
Dans ce contexte, le marché exprime des attentes exigeantes auprès de l’OPEP, ou plutôt, auprès de l’OPEP+, qui inclut la Russie. L’Organisation élargie endosse effectivement le rôle de producteur d’appoint, ou "swing producer", avec pour mission, celle de réguler l’offre et soutenir stabiliser les prix. La prochaine réunion du cartel sera ainsi décisive, d’autant plus qu’elle donnera lieu à une reconduction des quotas pétroliers, amputant l’offre mondiale de 1,2 mbj. 

Si ce rendez-vous était initialement programmé le 25 et le 26 juin, le calendrier pourrait être revu à la demande de certains pays, notamment la Russie et l’Arabie Saoudite, qui ne souhaitent pas interférer avec la tenue du G20 à la fin du mois. Néanmoins, d’autres pays, dont l’Iran s’y opposent fermement, ajoutant au-delà de la confusion ambiante, un degré de tension supplémentaire au sein de l’OPEP+. Si le simple choix de la date de la réunion est un sujet de discorde, qui se déroulera finalement le 1er et le 2 juillet, alors la réunion promet d’être houleuse.