Cour de justice de l'Union européenne

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 205/18

Luxembourg, le 19 décembre 2018

Arrêt dans l'affaire C-219/17

Presse et Information

Silvio Berlusconi e.a./Banca d'Italia e.a.

La Cour de justice de l'UE est seule compétente pour apprécier si la légalité de la décision de la BCE s'opposant à l'acquisition d'une participation qualifiée dans Banca Mediolanum par Fininvest et M. Berlusconi est affectée par d'éventuels vices entachant les actes préparatoires de la Banca d'Italia

Depuis les années 90, M. Silvio Berlusconi détenait, par l'intermédiaire de Fininvest, environ 30 % de Mediolanum, une compagnie holding financière contrôlant notamment la banque Banca Mediolanum.

À la suite de la condamnation de M. Berlusconi pour fraude fiscale, la Banca d'Italia (Banque d'Italie) et l'Istituto per la Vigilanza sulle Assicurazioni (Institut pour la surveillance des assurances, Italie) ont constaté, en 2013, qu'il avait cessé de remplir la condition d'honorabilité prévue par la législation nationale applicable et que, dès lors, la participation de Fininvest dans Mediolanum excédant 9,999 % devait être cédée. M. Berlusconi et Fininvest ont saisi la justice administrative italienne et obtenu gain de cause devant le Consiglio di Stato (Conseil d'État, Italie). Ce dernier, par arrêt définitif du 3 mars 2016, a annulé la décision de la Banca d'Italia pour violation du principe de non-rétroactivité, dans la mesure où elle avait étendu l'application de la nouvelle législation nationale adoptant des critères d'honorabilité à des participations antérieures à l'entrée en vigueur de celle-ci.

Entre-temps, Mediolanum a été absorbée par Banca Mediolanum et, en conséquence, Fininvest s'est retrouvée titulaire d'une participation qualifiée dans le capital d'une banque.

La Banca d'Italia et la Banque centrale européenne (BCE) ont alors considéré qu'une demande d'autorisation pour l'acquisition d'une participation qualifiée dans Banca Mediolanum était nécessaire. Aucune demande n'ayant été présentée, la Banca d'Italia a ouvert d'office une procédure administrative à cette fin. Par la suite, la Banca d'Italia, en tant qu'autorité compétente nationale (ci-après l'« ACN »), a transmis à la BCE une proposition de décision contenant un avis défavorable quant à l'honorabilité des acquéreurs 1 et l'invitant à s'opposer à l'acquisition.

Le 25 octobre 2016, la BCE a adopté une décision finale s'opposant à cette acquisition. Elle a considéré, notamment, qu'il existait des doutes fondés quant à l'honorabilité des acquéreurs du fait que M. Berlusconi avait été condamné pour fraude fiscale et avait commis d'autres irrégularités, tout comme d'autres membres des organes de direction de Fininvest.

M. Berlusconi et Fininvest ont attaqué la décision de la BCE 2. En même temps, ils ont attaqué les actes de la Banca d'Italia devant le Consiglio di Stato. Ce dernier a été saisi par la voie d'une azione di ottemperanza, dans le cadre de laquelle M. Berlusconi et Fininvest font valoir que la proposition de décision de la Banca d'Italia serait nulle pour violation de l'arrêt du 3 mars 2016 (ayant acquis, en tant qu'arrêt définitif, l'autorité de la chose jugée).

1 Fininvest est l'acquéreur direct, alors que M. Berlusconi, en tant qu'actionnaire majoritaire de Fininvest, est l'acquéreur indirect.

2 Fininvest et M. Berlusconi ont formé un recours en annulation de la décision de la BCE devant le Tribunal de l'Union européenne (affaireT-913/16,Fininvest et Berlusconi/BCE). La procédure devant le Tribunal a été suspendue dans l'attente de l'issue du présent renvoi préjudiciel.

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Dans ce contexte, le Consiglio di Stato demande à la Cour de justice s'il appartient aux juges nationaux ou bien au juge de l'Union 3 de contrôler la légalité des actes d'ouverture, d'instruction ou de proposition adoptés par une ACN (en l'espèce, la Banca d'Italia) dans le cadre d'une procédure d'autorisation relative à l'acquisition d'une participation qualifiée dans un établissement bancaire. Le Consiglio di Stato demande aussi à la Cour si la réponse à cette question diffère lorsqu'une juridiction nationale est saisie par la voie d'une azione di ottemperanza.

Par son arrêt de ce jour, la Cour constate que l'article 263 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) confère aux juridictions de l'Union la compétence exclusive pour contrôler la légalité des actes adoptés par une institution de l'Union, telle que la BCE.

La Cour observe que l'acte de l'institution de l'Union est parfois adopté à l'issue d'un processus décisionnel dont les actes d'une ACN constituent des étapes intermédiaires.

LaCour marque une distinction nette entre deux situations : i) celle où l'institution de l'Union ne dispose que d'une marge d'appréciation limitée ou inexistante, de sorte que l'acte de l'ACN lie l'institution de l'Union, et ii) celle où l'institution de l'Union exerce seule le pouvoir décisionnel final sans être liée par l'acte d'une ACN. Dans le premier cas, c'est aux juridictions nationales de connaître des irrégularités dont un tel acte national serait éventuellement entaché, en saisissant le cas échéant la Cour à titre préjudiciel. Dans le second cas, en revanche, il revient au juge de l'Union - c'est-à-dire aux juridictions au sein de la Cour de justice de l'Union européenne - non seulement de statuer sur la légalité de la décision finale prise par l'institution de l'Union mais aussi d'examiner les éventuels vices entachant les actes préparatoires ou les propositions émanant de l'ACN qui seraient de nature à affecter la validité de cette décision finale.

À ce propos, la Cour souligne que l'efficacité d'un processus impliquant la compétence décisionnelle exclusive d'une institution de l'Union suppose nécessairement un contrôle juridictionnel unique afin d'éviter des risques de divergences d'appréciations sur la légalité de la décision finale, notamment lorsque celle-ci suit l'analyse et la proposition d'une ACN. En outre, il découle de l'article 263 TFUE, ainsi que du principe de coopération loyale entre l'Union et les États membres 4, que les actes adoptés par une ACN dans ce type de processus ne sauraient être soumis au contrôle des juridictions des États membres.

La Cour observe que la BCE est seule compétente pour décider d'autoriser, ou non, l'acquisition envisagée à l'issue de la procédure en cause, prévue dans le cadre du mécanisme de surveillance unique de l'union bancaire dont la BCE est chargée de veiller au fonctionnement efficace et cohérent 5. Par conséquent, le juge de l'Union est seul compétent pour apprécier, à titre incident, si la légalité de la décision de la BCE du 25 octobre 2016 est affectée par d'éventuels vices des actes préparatoires adoptés par la Banca d'Italia. Ces derniers ne pourront donc pas faire l'objet d'un contrôle de légalité de la part des juges nationaux. La circonstance qu'un juge national a été saisi par la voie d'une action telle que l'azione di ottemperanza est sans incidence à cet égard.

RAPPEL : Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité d'un acte de l'Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire

3 C'est-à-dire la Cour de justice de l'Union européenne en tant qu'institution juridictionnelle comprenant deux juridictions : la Cour et le Tribunal.

  • 4 Principe visé à l'article 4, paragraphe 3, du traité sur l'Union européenne (TUE).

  • 5 La procédure en cause est régie par la directive CRD IV [directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338)], par le règlement sur le mécanisme de surveillance unique (règlement MSU) [règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63)] et par le règlement-cadre MSU [règlement (UE) n° 468/2014 de la BCE, du 16 avril 2014, établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la BCE, les ACN et les autorités désignées nationales (JO 2014, L 141, p. 1)].

conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème similaire.

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Letexte intégral de l'arrêt est publié sur le site CURIA le jour du prononcé.

Contact presse : Antoine Briand (+352) 4303 3205.

Des images du prononcé de l'arrêt sont disponibles sur «Europe by Satellite » (+32) 2 2964106.

La Sté CURIA - European Court of Justice a publié ce contenu, le 19 décembre 2018, et est seule responsable des informations qui y sont renfermées.
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