La saga “Verizon-AT&T contre le reste du monde” a largement animé les pages actualités de Zonebourse au cours des dernières semaines, et c’est bien normal. Après avoir essuyé Covid, confinements et blocages, pénuries ou absence de personnel, et conditions météorologiques défavorables, les transporteurs aériens (et les acteurs de la logistique) américains pensaient entrevoir, dès 2022, une embellie du secteur. Mais la 5G est venue mettre la pagaille dans ces beaux plans de reprise. 

Chaos. Catastrophe. C’est en ces termes que les détracteurs ont décrit ce-qui-pourrait-arriver si le déploiement de la technologie d’Internet mobile ultra-rapide était effectué à proximité des aéroports dans le délai prévu par les opérateurs. Par anticipation, les compagnies aériennes ont donc annulé des centaines de vols, tout en recevant le soutien officiel des avionneurs Airbus et Boeing. Et par précaution, Verizon et AT&T, les géants américains du réseau, ont accepté de retarder le déploiement des antennes relais à proximité des grands pôles aériens du territoire. AT&T a notamment désactivé les tours installées dans un périmètre de 2 miles (3,2 km) autour des aéroports dits “problématiques”, et Verizon n’a pas mis en service 500 de ses tours aux abords de ces mêmes zones. 

Un conflit d’interférence ?

Le problème viendrait des interférences entre les antennes et les instruments de pilotage, à bord. Plus précisément, les nouvelles bandes de fréquence attribuées à la 5G (bande C : de 3,7 à 3,98 GHz) entreraient en conflit avec les radio-altimètres, c’est-à-dire les radars qui mesurent grâce aux ondes radio la distance entre l'avion (ou l’hélicoptère) et le sol, cruciaux pour atterrir de nuit ou en cas de visibilité limitée. Ces derniers fonctionnent avec le spectre 4,2 à 4,4 GHz, trop proche du spectre des bandes Internet sans fil. 

Selon les opérateurs télécoms, il n’y aurait pas de risque d’interférence directe entre ces différentes fréquences. Mais selon la partie adverse, la puissance des émissions des antennes 5G pourrait poser problème à certains de ces systèmes de guidage de précision, à savoir fausser leurs relevés, et ainsi mettre les avions et leurs passagers en danger.   

Désormais, il appartient, d’une part, aux opérateurs de vol et aux constructeurs, de prouver à la FAA (l'autorité américaine de l’aviation) que leurs altimètres peuvent fonctionner de manière optimale dans un environnement 5G. Et d’autre part, à la FAA de s’assurer qu’aucun appareil ne vole dans les zones considérées comme dangereuses, ou ne fonctionne avec des altimètres non autorisés. Enfin, l’autorité a émis des dérogations : les ambulances aériennes, par exemple, peuvent se passer de l’obligation d’usage d’un altimètre pour continuer à opérer sur tous types de tarmacs, et avec tous types de conditions météorologiques.

Un conflit d'interférence

Quid du reste du monde ? 

Deux questions subsistent. Pourquoi ces problèmes n’ont-ils pas été mis au jour et réglés plus tôt ? Et pourquoi le déploiement de la 5G dans 40 autres pays n’a pas eu un tel impact négatif sur l’industrie aérienne locale ? 

De nombreux pays ont attribué des bandes 5G à leurs opérateurs et déployé le spectre sans que cela ne pose le moindre problème. En France, la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile) a imposé une minoration de la puissance des signaux Internet sans fil à proximité des aéroports, des héliports et des hôpitaux (qui peuvent être équipés de zone d’atterrissage d’hélicoptères), de manière à ce qu’ils soient moins puissants que ceux des radiosondes aériennes. 

Ensuite, l’écart entre les fréquences des radioaltimètres et celles des réseaux est plus vaste dans l’hexagone qu’aux Etats-Unis (400 MHz chez nous contre 200 outre-Atlantique). Grâce à cet espace “tampon”, les fréquences attribuées aux télécoms ne sont donc pas en concurrence avec les fréquences réservées aux aéronefs. La France utilise par ailleurs une gamme de fréquence plus lente (de 3,4 à 3,8 GHz). Enfin, un protocole de sûreté s’ajoute à ces mesures : les opérateurs doivent diriger les signaux des antennes vers le sol là où l’activité aérienne est dense. Ces zones de sécurité, adjointes à des zones de précaution, ont permis d’éviter l’écueil américain sur notre territoire. 

Idem en Europe, au Royaume-Uni, ou encore en Corée du Sud, où les autorités de l'aviation ne déplorent aucun cas d’interférence entre la dernière génération de réseau et les systèmes de navigation. Même au Japon, où la bande 5G évolue entre 4,5 et 4,6 GHz ( très proche des fréquences des radio-altimètres), le sujet ne soulève pas d’inquiétude. 

Quid du reste du monde ?

Un problème américano-américain 

Dès mars 2020, la FCC (la commission américaine des télécoms) avait émis ses préoccupations, mais, après étude des nuisances possibles, rapidement balayé une grande partie des inquiétudes. Fin 2020, à son tour, la FAA faisait part de ses doutes et demandait un report de la vente aux enchères des spectres de bande C aux opérateurs télécoms. A l’époque, c’est l’administration Trump qui s’est opposée à cette demande de dernière minute. Le défaut d’anticipation constituerait alors la première cause de cette situation. 

Outre le manque d’anticipation et de coordination des autorités américaines, des détails techniques spécifiques aux Etats-Unis permettent d’expliquer la situation chaotique actuelle. Dans le pays de l’Oncle Sam, les antennes afficheraient une puissance doublée par rapport aux autres antennes mondiales, et seraient placées en position verticale, plutôt qu’inclinées, selon le Président de la compagnie Emirates. 

Parmi les autres causes avancées : de trop nombreuses fréquences auraient été attribuées à l’industrie des télécommunications, y compris des fréquences habituellement utilisées par le secteur aérien. Certains observateurs mettraient en cause la vétusté des équipements américains. Enfin, trop peu de modèles d'altimétres auraient reçu l’approbation réglementaire de la FAA, qui vient de corriger sa copie et de porter à 20 le total approuvé (contre 13 précédemment). 

Mais il semblerait surtout que le sujet soit financier. Qui des opérateurs télécoms, des avionneurs, du gouvernement fédéral, des autorités, des compagnies aériennes ou des exploitants d’aéroport doit endosser la facture d’une remise en service viable ? Entre réorienter les antennes, vérifier les altimètres, ou encore attribuer de nouvelles fréquences aux uns ou aux autres, cette facture menace d’être salée. Les opérateurs américains ont payé leurs fréquences à prix d’or lors d’enchères exorbitantes, et se montrent peu enclins à rouvrir le portefeuille.