Cour de justice de l'Union européenne

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 93/18

Luxembourg, le 27 juin 2018

Conclusions de l'avocat général dans l'affaire C-219/17

Presse et Information

Silvio Berlusconi et Fininvest/Banca d'Italia e.a.

L'avocat général Campos Sánchez-Bordona propose à la Cour de justice de déclarer que les juridictions de l'Union ont la compétence exclusive pour contrôler la légalité des actes de la BCE et des actes préparatoires adoptés dans les procédures d'autorisation en matière d'acquisition ou d'augmentation de participations qualifiées dans des établissements bancaires

Dans le cadre de ces procédures, les juges nationaux ne sont pas compétents pour exercer le contrôle juridictionnel des actes préparatoires adoptés par les banques centrales nationales, et ce, quelle que soit la procédure dans laquelle ils sont appelés à statuer

À partir des années 90, M. Silvio Berlusconi, actionnaire majoritaire de la société Fininvest, a possédé, par l'intermédiaire de cette société, une participation de plus de 30 % dans la société financière holding mixte Mediolanum (ci-après la « société Mediolanum »), laquelle possédait elle- même l'intégralité des actions de la Banca Mediolanum (ci-après la « banque Mediolanum »).

En 2014, l'Italie a étendu aux titulaires et aux dirigeants des sociétés financières holding mixtes l'application de la condition d'honorabilité prévue pour les établissements bancaires. Fininvest a donc demandé à la Banca d'Italia (banque nationale italienne agissant en tant qu'autorité compétente nationale, ci-après l'« ACN ») l'autorisation de posséder des participations qualifiées dans la société Mediolanum. La même année, la Banca d'Italia a rejeté cette demande au motif que, ayant été condamné pour fraude fiscale par un arrêt définitif en 2013, M. Berlusconi ne remplissait pas la condition d'honorabilité. La Banca d'Italia a par conséquent ordonné la vente des participations excédant le seuil de 9,999 % légalement prévu. Par un arrêt définitif de 2016, le

Consiglio di Stato (Conseil d'État, Italie) a annulé la décision de la Banca d'Italia pour violation du principe de non-rétroactivité, dans la mesure où elle avait étendu l'application de la nouvelle législation à des participations antérieures à l'entrée en vigueur de celle-ci.

Entre temps, la société Mediolanum a été absorbée par la banque Mediolanum en 2015. Fininvest est alors devenue titulaire d'une participation qualifiée dans un établissement de crédit. Suivant les indications fournies par la Banque centrale européenne (« BCE »), la Banca d'Italia a, conformément à la directive CRD IV 1, ouvert d'office en 2016 une procédure administrative ayant pour objet l'autorisation de la participation qualifiée de Fininvest dans la banque Mediolanum.

Cette procédure s'est conclue par une décision de la BCE du 25 octobre 2016, adoptée sur la base d'une proposition de la Banca d'Italia. La BCE s'est opposée à l'acquisition, considérant qu'il existait des doutes fondés quant à l'honorabilité des acquéreurs du fait que M. Berlusconi avait été condamné pour fraude fiscale et avait commis d'autres irrégularités, à l'instar d'autres membres des organes de direction de Fininvest.

1 Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338).

Fininvest et M. Berlusconi ont attaqué la proposition de la Banca d'Italia devant le Consiglio di Stato 2, en arguant de sa nullité au motif qu'elle était contraire à l'arrêt définitif rendu en 2016 par cette même juridiction.

Afin de résoudre le litige, le Consiglio di Stato demande, en substance, à la Cour de justice s'il incombe aux juges nationaux ou bien aux juridictions de l'Union de contrôler la légalité des actes d'ouverture, d'instruction et de proposition adoptés par une ACN dans le cadre d'une procédure d'autorisation relative à l'acquisition d'une participation qualifiée dans un établissement bancaire [procédure régie par l'article 4, paragraphe 1, sous c), et l'article 15 du règlement sur le mécanisme de surveillance unique (« MSU ») et par les articles 85, 86 et 87 du règlement-cadre MSU 3].

Dans ses conclusions de ce jour, l'avocat général Manuel Campos Sánchez-Bordona considère que l'autorisation pour acquérir ou augmenter des participations qualifiées dans des établissements financiers suit une procédure complexe dont la résolution définitive relève de la compétence exclusive de la BCE, les ACN intervenant en tant qu'instances chargées de la préparation des décisions. Cette appréciation s'appuie, entre autres, sur les arguments suivants : la proposition de l'ACN ne lie pas la BCE, celle-ci pouvant adopter des mesures d'instruction et d'investigation autonomes et parvenir à une solution différente ou en modifier le contenu ; la BCE participe à la phase initiale de l'instruction de la procédure moyennant un échange d'informations avec l'ACN et peut forcer cette dernière à intervenir en cas d'inertie de sa part ; enfin, le projet de décision soumis par l'ACN à la BCE n'est pas notifié par l'ACN au demandeur, ce qui confirme sa nature de simple acte préparatoire interne de la décision finale de la BCE, dénué d'effets juridiques à l'égard tant du demandeur que des tiers.

Ensuite, l'avocat général estime que, du moment que, dans la procédure d'autorisation des participations qualifiées, la BCE concentre de manière exclusive le pouvoir décisionnel final, la compétence exclusive pour exercer le contrôle juridictionnel de ce pouvoir doit, par effet de symétrie, être dévolue au Tribunal de l'UE et à la Cour de justice 4. Le caractère préparatoire des actes des ACN dans le cadre de cette procédure contribue à justifier le contrôle juridictionnel exclusif des juridictions de l'Union. L'avocat général ajoute que, pour sauvegarder le droit à une protection juridictionnelle effective des personnes concernées, les juridictions de l'Union doivent examiner l'éventuelle invalidité des actes préparatoires des ACN susceptibles d'affecter l'ensemble de la procédure, dès lors que leur contenu a été ultérieurement repris par la BCE.

L'avocat général conclut que la Cour de justice de l'Union européenne a la compétence exclusive pour contrôler la légalité des actes adoptés dans le cadre de la procédure d'autorisation des acquisitions ou augmentations de participations qualifiées dans des établissements bancaires et que les organes juridictionnels nationaux ne sont pas compétents pour exercer le contrôle de légalité des actes d'ouverture, d'instruction et de proposition adoptés par les ACN dans le cadre de cette procédure, dont la résolution finale incombe à la BCE. Ce défaut de compétence des organes juridictionnels nationaux existe même dans le cas d'une action en nullité (« giudizio di ottemperanza ») dans laquelle est invoquée la prétendue violation ou le prétendu contournement d'une décision antérieure d'une juridiction nationale passée en force de chose jugée.

RAPPEL : Les conclusions de l'avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils

2 Fininvest et M. Berlusconi ont également formé un recours en annulation de la décision de la BCE devant le Tribunal de l'Union européenne (T-913/16, Fininvest et Berlusconi/BCE). La procédure devant le Tribunal a été suspendue dans l'attente de l'issue du présent renvoi préjudiciel.

3 Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63, ci-après le « règlement MSU ») et règlement (UE) n° 468/2014 de la Banque centrale européenne, du 16 avril 2014, établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la Banque centrale européenne, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales (JO 2014, L 141, p. 1, ci-après le « règlement-cadre MSU »).

4 Arrêt de la Cour du 18 décembre 2007, Suède/Commission(C-64/05 P,points 93 et 94) et ordonnance du président de la Cour du 13 janvier 2009, Occhetto et Parlement/Donnici[C-512/07 P(R) etC-15/08 P(R),point 53].

sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L'arrêt sera rendu à une date ultérieure.

RAPPEL : Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité d'un acte de l'Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème similaire.

Document non officiel à l'usage des médias, qui n'engage pas la Cour de justice.

Letexte intégral des conclusions est publié sur le site CURIA le jour de la lecture.

Contact presse : Gilles Despeux (+352) 4303 3205.

Des images de la lecture des conclusions sont disponibles sur «Europe by Satellite» (+32) 2 2964106.

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