« La décote des actions européennes n’a jamais été aussi importante ». C’est la phrase que j’ai le plus entendu de ma vie (certes courte) d’observateur des marchés. Un exemple que ce qui n’est pas cher peut le rester longtemps ; c’est le fameux concept de « value trap ». Et un problème qui dépasse le simple match des places boursières.
Les actions européennes traitent actuellement à 13.2 fois les bénéfices de l’année à venir ; soit à peu près leur moyenne de long terme. A comparer avec 21.6 de PE forward pour les actions américaines (contre 18.2 pour leur moyenne 10 ans). Depuis une dizaine d’années, l’écart n’a cessé de se creuser. Porté par quelques méga-caps à la profitabilité insolente, Wall Street fait la course en tête et écrase le reste du monde. Les Etats-Unis représentent désormais 74% de l’indice MSCI World, pour seulement 25% du PIB mondial.
Source : JPMorgan AM
Cercle vicieux
A première vue, la décote de valorisation n’est pas un problème. Si on s’inquiète à longueur de journées des valorisations élevées outre-Atlantique, on ne peut que se réjouir d’avoir un marché peu cher en Europe. Et espérer que cela attirera les flux des investisseurs internationaux. D’autant que la cote européenne ne manque pas d’entreprises de qualité.
Mais qu’observe t’on en pratique ? Les valorisations de la cote européenne attirent le private equity, qui vient y faire son marché et trouver des entreprises à des prix beaucoup plus raisonnables que dans le non coté. On l’a encore vu récemment avec le rachat de Neoen par le fonds canadien Brookfield. Ainsi, nombre d’entreprises de qualité sont retirées de la cote et finissent dans le giron des fonds de private equity (ironie de l’histoire, les plus importants fonds de private equity sont cotés en bourse). Ce mécanisme fait que la cote européenne, et en particulier le segment des petites et moyennes valeurs, perd petit à petit en qualité, alimentant en retour le désintérêt des investisseurs.
Ensuite, du point de vue des entreprises européennes, la décote est aussi un frein. Celles qui ne sont pas cotées ne sont pas attirées par un marché qui ne les valoriserait pas bien, ce qui les pousse souvent à aller se coter aux Etats-Unis ou à rester dans le non coté, qui s’est beaucoup structuré ces dernières années et qui permet d’accompagner les entreprises jusqu’à des tailles de capitalisation beaucoup plus importantes.
Pour les entreprises déjà cotées, il y a un autre inconvénient. Lorsqu’elles cherchent à faire de la croissance externe (à croitre par acquisition d’une autre entreprise), et à racheter un concurrent américain qui parfois permet d’ouvrir ce marché, l’écart de valorisation fait que le prix de la transaction est élevé. Dans bien des cas, le marché réagit mal à ce type de rumeurs et le titre prend une claque, tuant dans l’œuf le projet d’acquisition. C’est ce qui s’était passé en septembre dernier, lorsqu’une information de Bloomberg avait évoqué un intérêt de Sodexo pour le rachat de son concurrent américain Aramark, de taille équivalente en termes de chiffre d’affaires. A la même période, Elis avait été sanctionné pour s’être intéressé à l’américain Vestis.
Décote structurelle
La décote de valorisation des actions européennes est surtout le résultat de la situation politique et économique de l’Europe. Un continent vieillissant où la croissance potentielle est faible. Une zone pas entièrement intégrée du point de vue économique et financier. Une zone fragmentée politiquement, dont les principaux leaders sont affaiblis.
Tout cela se traduit en chiffres. Depuis 2019, la croissance du PIB nominal européen représente seulement 40% de celle des Etats-Unis. Et la croissance des bénéfices par action des entreprises européennes anticipée en 2025 sera environ deux fois plus faible que celle de leurs rivales américaines (+8% contre +15%), malgré une bonne exposition à l’international.
On en revient au constat du rapport Draghi, l’Europe est un continent où tout semble figé. Un fait résume cela : les trois entreprises européennes qui déposent le plus de brevets sont les mêmes qu’au début du siècle (3 constructeurs automobiles). C’est donc davantage de l’innovation incrémentale que de l’innovation de rupture, qui est celle qui est créatrice de valeur. Résultat, les débats ne consistent qu’à savoir comment réguler les innovations des autres.
Face à ce constat, un sujet revient toujours : le serpent de mer de l’union des marchés de capitaux. Mais cette belle idée se heurte toujours à la réalité. En septembre dernier, Unicredit a annoncé son intention de consolider le secteur bancaire européen. Sa principale cible : la banque allemande Commerzbank. Mais la classe politique allemande et les syndicats se sont levés comme un seul homme. Pas question qu’un fleuron allemand passe sous contrôle italien. Même si officiellement, la crainte pour les emplois était davantage mise en avant. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Une information du Financial Times indiquait en début de semaine que Commerzbank envisageait des suppressions d’emplois pour présenter un visage plus séduisant aux investisseurs…et ainsi éviter un rachat par Unicredit.