L’exposé des motifs de l’amendement est une déclaration politique qui semble sortir d’un autre temps, qualifiant le Black Friday de "vaste opération à la gloire du consumérisme (...) fondée sur la valorisation publicitaire de la surconsommation", à laquelle on serait tentés de répliquer du récemment populaire "Ok boomer".

D’aucuns diront qu’il s’agit d’un exposé paternaliste et méprisant à l’égard des classes les plus populaires, pour qui Black Friday représente l’occasion de préparer les cadeaux de fin d’année à moindre coût. Les réponses à Mathieu Orphelin, qui annonçait avec joie sur Twitter l’adoption de l’amendement sont sans appel :

Mais derrière cette déclaration politique tonitruante et controversée, il y a un texte juridique. Quel est donc son impact, concrètement ?

L’amendement porté par Mme Batho est destiné à compléter l’article L 121-7 du Code de la consommation, consacré aux pratiques commerciales agressives. Petit décryptage pour les non-initiés.

Le Code de la consommation prohibe les pratiques commerciales déloyales, c’est-à-dire les pratiques contraires aux exigences de la diligence professionnelle et qui altèrent – ou sont susceptibles d’altérer – de manière substantielle le comportement économique du consommateur, au sein desquelles il distingue entre :

  • Les pratiques trompeuses, qui sont caractérisées par la confusion, le mensonge ou l’ambiguïté
  • Et les pratiques agressives qui reposent sur des sollicitations répétées et insistantes, voire sur l’usage de la contrainte physique ou morale.

Qu’elle soit simplement trompeuse ou agressive, la pratique déloyale est punie d’un emprisonnement de 2 ans et d’une amende de 300 000€, pouvant être portée à 10% du CA moyen annuel. La pratique agressive étant plus grave, elle entraîne par ailleurs la nullité du contrat conclu.

Avec l’amendement Batho, sont donc considérées comme agressives les pratiques commerciales ayant pour objet de donner l’impression dans une publicité, "par des opérations de promotion coordonnées à l’échelle nationale, que le consommateur bénéficie d’une réduction de prix comparable à celles des soldes" et ce, en dehors de leur période légale. En effet, les soldes sont encadrées légalement, tant dans leurs modalités, que dans leur temporalité, car il s’agit du seul moment où les commerçants sont autorisés à vendre leur marchandise à perte, afin d’écouler rapidement leurs stocks :

  • Il n’y a que 2 périodes de soldes par an
  • La durée de chaque période est établie par arrêté du ministre de l’économie entre 3 et 6 semaines, pour l’ensemble du territoire
  • Les produits soldés doivent être proposés à la vente depuis au moins un mois avant la date de début des soldes

En dehors des soldes, les commerçants, en ligne ou physiques, sont libres de réaliser des promotions, mais sans employer le terme de "soldes" ou ses dérivés et surtout sans vendre à perte. Par ailleurs, le commerçant qui induirait les consommateurs en erreur quant au caractère promotionnel du prix, en affichant par exemple un faux prix de référence, commet une pratique commerciale trompeuse.

Des ristournes en trompe-l'oeil 

Le problème soulevé par Mme Batho (outre la surconsommation, source de gaspillage) ? Les réductions proposées dans le cadre du Black Friday sont généralement conséquentes, du moins en apparence. Elle s’appuie en effet sur une étude de l’UFC-Que Choisir datant de 2016, selon laquelle la moyenne des réductions effectives est inférieure à 2% (voir infographie ci-dessous), bien loin des -20 à -50% annoncés par certaines enseignes. Or, il s’agit comme nous l’avons vu, d’une pratique commerciale trompeuse, sanctionnée par le Code de la consommation. L’article L 121-2, 2°, c) du Code de la consommation est en effet limpide : "Une pratique commerciale est trompeuse (...) lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur (...) le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix (...)".

On est dès lors en droit de se demander quel est l’intérêt de cet amendement, qui s’attaque à une pratique déjà sanctionnée... au-delà de l’effet d’annonce.

Plus encore, classer cette pratique comme une pratique commerciale agressive peut paraître curieux au vu des autres pratiques agressives listées par le Code de la consommation, telles que :

  • Donner au consommateur l’impression qu’il ne pourra quitter les lieux avant qu’un contrat ait été conclu
  • Ou effectuer des visites au domicile du consommateur, en ignorant sa demande de quitter les lieux ;

Pas mal de questions en suspens

Outre une utilité discutable, le texte est maladroitement rédigé : si les "opérations de promotion coordonnées au niveau national" laissent perplexe, c’est surtout la notion de "réduction de prix comparable à celles des soldes" qui interpelle. Devons-nous en déduire que toute publicité annonçant un rabais de plus de 20 ou 30% hors période de soldes constituera ainsi une pratique agressive ? A partir de quel seuil la réduction proposée est-elle comparable à celle des soldes ? Ce seuil doit-il être apprécié par rapport à l’ensemble des acteurs économiques, par rapport à un secteur ou encore par rapport au commerçant pris individuellement ? Si la réduction comparable aux soldes vise en réalité la vente à perte, pourquoi ne pas l’avoir dit clairement ?

Bref, un texte maladroit, à l’utilité douteuse et en décalage avec les intentions affichées. En effet, selon l’exposé accompagnant l’amendement, Black Friday constituerait une "pratique commerciale qui contribue au gaspillage des ressources, glorifie la surconsommation et constitue au final une arnaque par une publicité trompeuse" à laquelle il convient de mettre fin. Si le problème de Black Friday est la publicité trompeuse, les armes législatives existent déjà pour le combattre. Si le problème réside dans le gaspillage des ressources et la glorification de la surconsommation, il convient en effet d’interdire Black Friday mais également les soldes, qui conduisent à la même frénésie d’achats, souvent impulsifs.

Fort heureusement, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire n’est encore qu’au stade de projet et il faut espérer que cet amendement ne sera pas retenu par les députés lors de l’examen du 9 décembre.