par John Davison et Tom Perry

RAKKA, Syrie, 18 octobre (Reuters) - Les groupes à majorité kurde qui ont achevé mardi de reconquérir Rakka, l'ancienne capitale autoproclamée du groupe Etat islamique (EI) en Syrie, sont désormais chargés de la gestion d'une paix précaire, où ils doivent ménager la majorité arabe de la ville et assurer l'accès d'une aide américaine cruciale.

La chute de Rakka, ville où l'EI avait organisé des parades triomphales il y a trois ans, constitue un nouveau revers majeur pour le groupe extrémiste sunnite après celle de Mossoul, autre métropole conquise par les djihadistes lors de leur offensive éclair en Irak et en Syrie en 2014.

Les Forces démocratiques syriennes (FDS) devront s'y acquitter d'une tâche colossale: reconstruire une cité en ruine à l'issue de plusieurs mois d'intenses combats et de frappes aériennes de la coalition dirigée par les Etats-Unis.

La gestion politique de Rakka ne sera sans doute pas plus facile, vu la mosaïque ethnique qui compose la ville à majorité sunnite, située en dehors des régions sous contrôle kurde du nord de la Syrie.

Conscientes de ces sensibilités, les FDS ont pris soin de placer des combattants arabes en première ligne dans leurs projets de gouvernement local, soulignent des analystes.

Dans l'immédiat, le conseil civil de Rakka (CCR) constitué par les FDS devra assurer la sécurité, la réparation des infrastructures et la distribution de l'aide, s'il compte remporter l'adhésion d'une population civile exsangue.

Il devra en outre organiser le retour des habitants contraints à l'exode.

A plus long terme, le destin politique de Rakka est lié à l'issue du conflit syrien et des milices kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) qui contrôlent le nord du pays.

Le régime syrien entend reprendre le contrôle de l'ancien bastion de l'EI sur les bords de l'Euphrate, ce qui laisse présager de nouveaux combats dans la ville, à moins qu'elle ne devienne un élément de négociation dans d'éventuels pourparlers sur une région autonome kurde.

"Quiconque nous dirige, les Kurdes ou les Arabes, nous voulons qu'ils fournissent des services", déclarait un habitant, devant le siège du conseil civil à Ain Issa, dans le nord de Rakka. "La sécurité est la chose la plus importante", ajoutait cet ancien fonctionnaire.

FÉDÉRALISME KURDE

Le principal parti kurde de Syrie, le Parti de l'union démocratique (PYD), et ses alliés, espèrent à terme voir Rakka rejoindre le nouveau système "fédéral" rassemblant des régions autonomes kurdes du nord de la Syrie.

Sur place, les dirigeants kurdes ont toutefois assuré qu'il était trop tôt pour en discuter, prenant acte d'oppositions locales et internationales au projet politique.

La Turquie, dont la frontière n'est séparée que d'une centaine de kilomètres de Rakka, a fait pression en vain sur Washington pour que les Etats-Unis abandonnent leur alliance avec les milices kurdes dans la campagne militaire.

Le référendum d'autodétermination organisé le 25 septembre dernier en Irak a accentué les inquiétudes régionales liées au séparatisme kurde.

"Resteront à Rakka les forces de sécurité intérieure et le CCR", a déclaré la responsable kurde Fawza Youssef, lors d'une interview. "Les forces de sécurité en cours de préparation seront exclusivement composées de volontaires de Rakka."

Certains combattants kurdes des YPG se sont rapidement retirés de la ville mardi après y être entrés, laissant des membres non-kurdes des FDS prendre leur place, rapportent des témoins et des dirigeants militaires.

Les FDS semblent appliquer à Rakka un modèle déjà testé à Manbij, dans le nord de la Syrie, reprise l'année dernière aux djihadistes de l'EI.

"Le (conseil civil) reste étroitement lié aux structures de pouvoir des YPG et du PYD, mais ils ont fait davantage d'efforts pour mettre l'accent sur l'intégration (des autres groupes), par rapport à d'autres régions", notait Noah Bonsey, analyste du International Crisis group.

AIDE AMÉRICAINE

Selon l'ONG Save the Children, la plupart des 270.000 habitants qui ont fui les combats à Rakka risquent de rester cantonnés dans des camps de déplacés pendant plusieurs mois, voire plusieurs années.

Le département d'Etat américain a annoncé mercredi que les Etats-Unis participeraient au déminage, au nettoyage et à la restauration des services de base dans la ville, ainsi qu'à l'envoi de l'aide humanitaire.

"Nous allons aider et prendre les commandes des opérations de rétablissement de l'eau, de l'électricité et tout cela", a déclaré la porte-parole Heather Nauert.

Les Etats-Unis, qui ont envoyé une équipe de diplomates en Syrie pour concerter les opérations humanitaires et de stabilisation, ne soutiendront aucun "projet politique d'expansion du PYD (kurde) dans cette partie du pays", indique en outre un responsable américain.

Washington continue de soutenir un processus de paix dans le cadre de discussions à Genève et "le groupe le plus large possible de représentants syriens dans ces discussions", a déclaré mercredi le département d'Etat.

Nick Heras, chercheur au sein de l'institut américain Center for a New American Security, jugeait pour sa part: "La plus grande difficulté pour Rakka et les partenaires syriens locaux qui tentent de reconstruire la ville, c'est l'ambiguïté de la politique syrienne de l'administration Trump". (avec Ellen Francis et Dahlia Nehme à Beyrouth; Julie Carriat pour le service français, édité par)