* La coopération Paris-Londres, une des clés de la Défense européenne

* La ministre française des Armées appelle à une solution

* Mais pas "au prix d'un affaiblissement de l'Europe"

* Une Défense européenne forcément impactée

* Une approche à la carte, solution d'avenir?

par Sophie Louet et Julie Carriat

LONDRES-PARIS, 20 septembre (Reuters) - La France et le Royaume-Uni doivent relever le défi du Brexit, accord ou pas, en approfondissant leur partenariat militaire et stratégique à condition qu'il ne souffre pas de restrictions budgétaires et n'"affaiblisse" pas l'Europe de la Défense, a déclaré jeudi la ministre française des Armées.

"Nous devons trouver une solution pour avancer", a souligné Florence Parly à Londres, alors qu'un périlleux épilogue se dessine dans les négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

"Le Brexit rend notre coopération encore plus nécessaire, mais il ne la rend aucunement plus facile", a-t-elle jugé lors d'un discours en anglais devant la 7e conférence Défense du Conseil franco-britannique, une instance réunissant représentants civils et militaires et industriels des deux pays.

"Nous allons continuer à renforcer notre partenariat stratégique, mais pas au prix d'un affaiblissement de l'Europe."

Paris et Londres sont liés depuis novembre 2010 par les accords de Lancaster House qui ont notamment institué une force expéditionnaire commune interarmées, avec l'objectif de déployer 10.000 hommes en cas de crise. Le sommet de Sandhurst, en janvier dernier, a scellé de nouveaux rapprochements, particulièrement dans l'industrie (missiles, drones, "avion du futur"-FCAS, un programme de deux milliards d'euros).

La Première ministre britannique, Theresa May, avait appelé de ses voeux en février dernier la conclusion d'un traité de défense et de sécurité d'ici le 29 mars 2019, date-butoir pour la sortie du Royaume-Uni.

"Le choix stratégique des Britanniques, c'est soit rester proches du logiciel européen, soit donner corps à une 'global Britain'. Tout cela dépend aussi des choix économiques et commerciaux qu'ils feront", estime un diplomate européen.

PERTE DE LEADERSHIP

Pour la sénatrice (PS) Hélène Conway-Mouret, vice-présidente de la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, l'offre de May s'inscrit "dans un calendrier trop serré".

"Je ne vois pas comment les relations de sécurité et de défense pourraient ne pas être impactées par le Brexit, même s'il y a une volonté affichée de participer au programme de l'UE post-Brexit", a-t-elle estimé lors des Universités d'été de la Défense. "Une approche à la carte pourrait fonctionner."

Il y a un an, par un document sur "la politique étrangère, la défense et le développement" post-Brexit, les Britanniques ont proposé de participer à des opérations de défense européennes, d'échanger des personnels militaires, de partager des informations confidentielles sur une base de réciprocité, et même de contribuer financièrement à la Défense européenne.

Londres souhaiterait en contrepartie être associé à la "Coopération structurée permanente" mise en place en décembre 2017, dans la ligne du traité de Lisbonne, pour renforcer la coopération militaire et sécuritaire entre 25 Etats membres.

"Au-delà des partenariats bilatéraux, l'Initiative européenne d'intervention peut-être aussi un cadre", juge-t-on au ministère français des Armées. L'IEI, une coalition de neuf pays européens, dont la France et la Grande-Bretagne, qui complétera la CSP dans le domaine de la planification opérationnelle, devrait prendre corps en novembre prochain.

Un parlementaire britannique partisan du maintien du Royaume-Uni dans l'UE considère que "l'appel du grand large" de Winston Churchill, en matière de Défense, ne trouve pas d'écho au sein de l'administration britannique, "Brexiters" compris.

"On n'aime pas la réglementation, mais on veut conserver de bons liens. Face au défi que représentent aujourd'hui les Etats-Unis de Donald Trump, il y a encore plus de raisons de participer à la Défense européenne", relève-t-il.

Même si Michel Barnier, chargé des négociations du Brexit pour l'UE, "juge lui-même qu'on peut aller vers un partenariat sans précédent sur les questions de Défense, le Royaume-Uni va perdre en leadership", note pour sa part le diplomate européen.

L'INCONNUE BUDGÉTAIRE

L'appréciation militaire diffère.

"Ça reste et va rester 'business as usual'. La bascule du commandement d'Atalante, c'est un détail technique, les échanges de renseignement continueront comme avant", analyse un membre de l'état-major de la marine française.

Le transfert programmé de l'état-major opérationnel de la mission européenne Atalante contre la piraterie dans le golfe d'Aden et l'océan Indien, de Northwood à Rota (Espagne) et Brest, est un coup porté à la prééminence britannique.

Les armées françaises mettent aussi en avant la contribution britannique à l'opération Barkhane au Sahel avec l'arrivée de trois hélicoptère "Chinook" à Gao en août, ou le déploiement de forces britanniques et françaises en 2019 en Estonie dans le cadre de la "présence avancée renforcée" de l'Otan.

"Il n'y a pas de cloisons étanches entre les différents outils au service de la défense collective en Europe. Le Brexit ne constitue pas une nouvelle cloison étanche entre nous", avait déclaré le général André Lanata, ex-chef d'état-major de l'armée de l'air française, en mai dernier.

Un représentant de l'industrie française de Défense temporise : "Il est dangereux de rentrer dans ce débat avec un esprit pragmatique par trop britannique. Il nous faut un outil juridique, un traité, pour rendre compatibles l'autonomie stratégique européenne et la souveraineté britannique."

Si un cadre global s'esquisse, une inconnue demeure : le Royaume-Uni sera-t-il en mesure de maintenir un budget à la hauteur des enjeux?

Florence Parly, jeudi, a été sans détour: "Nous voulons être sûrs que notre coopération ne sera pas impactée par la réduction des ressources nationales - singulièrement pour nos programmes d'équipements conjoints".

Premier budget militaire d'Europe, le Royaume-Uni pourvoit avec la France, à ce jour, à près de la moitié du budget de Défense de l'Union européenne.

"Les Britanniques n'ont plus d'argent. On pouvait imaginer avant le Brexit qu'on jouerait un jeu à trois avec l'Allemagne, aujourd'hui on n'a pas d'autre choix qu'un face-à-face avec l'Allemagne", tranche un haut responsable militaire français. (Edité par Yves Clarisse)