(Répétition sans changement d'une dépêche diffusée mardi)

* Dépendance croissante envers les adjudications et l'épargne

* La maturité moyenne de la dette décroît depuis février

* Le dernier emprunt syndiqué remonte à janvier

* Le public a boudé les "BTP Italia" cette semaine

par Abhinav Ramnarayan et Giulio Piovaccari

LONDRES/MILAN, 21 novembre (Reuters) - Huit mois d'agitation politique ont suffi pour que le profil de la dette italienne commence à se dégrader, comme en atteste le recours croissant du pays à des adjudications d'échéances courtes et à l'épargne populaire pour se financer.

Avec un endettement représentant 130% de sa richesse nationale et l'un des programmes d'émissions les plus importants du monde, l'Italie a besoin de se financer à bon compte mais aussi sur de longues durées, car plus la maturité d'une dette est longue, moindre est le risque de difficultés de remboursement.

Jusqu'à récemment, le pays y parvenait. La maturité moyenne de la dette souveraine italienne a atteint 6,96 ans en février, au plus haut depuis cinq ans. Mais depuis lors elle a baissé et elle s'établit actuellement à 6,79 ans, un plus bas de 18 mois, selon les économistes de BBVA.

Cela tient au fait que le pays n'a pu tenter dernièrement de monter un emprunt syndiqué, opération qui consiste à faire appel à un syndicat de banques pour vendre directement à des investisseurs internationaux, plutôt que de se contenter d'adjudications à domicile.

Parce qu'ils s'adressent à un cercle beaucoup plus large d'investisseurs, et disposant de moyens autrement plus importants que les locaux, les emprunts syndiqués permettent de lever plus d'argent d'un coup, et sur des maturités plus longues. Mais l'arrivée aux affaires d'un gouvernement populiste et sa confrontation avec l'Europe sur le budget ont coupé l'appétit pour les obligations italiennes.

"Les syndications permettent d'ouvrir de nouvelles lignes comme l'emprunt à 50 ans que l'Italie a émis en 2016, ce qui permet d'assurer des coûts bas sur une longue période", explique un banquier d'un des trois spécialistes des valeurs du Trésor (SVT) italien, des banques nommées par les gouvernements pour gérer les émissions de dette.

Sans syndications régulières pour vendre des obligations de long terme, la maturité moyenne de la dette italienne ne pourra que continuer de diminuer, conviennent des représentants de deux autres SVT.

"(Un emprunt syndiqué) est aussi un message fort pour dire que vous avez un accès au marché. Si l'Italie devait s'en passer jusqu'à la fin de l'année, ce ne serait pas bon. Et si cela continue en janvier, ce sera très très mauvais", ajoute le banquier qui a demandé à garder l'anonymat.

LES "BTP ITALIA" NE FONT PAS RECETTE

Depuis le mois de mai, les coûts d'emprunt de l'Italie n'ont cessé d'augmenter et l'écart de rendement avec l'Allemagne - de facto la prime de risque exigée par les investisseurs pour détenir de la dette italienne - a doublé.

Les étrangers ont vendu un solde net de 69 milliards d'euros d'obligations d'Etat italiennes depuis le mois de mai quand la Ligue (extrême droite) et le mouvement anti-système 5-Etoiles (M5S) ont conclu l'accord d'alliance qui leur a ouvert les portes du pouvoir.

En conséquence, le Trésor a dû s'appuyer principalement sur des adjudications d'obligations, dont il ne maîtrise pas le prix et qui se bornent généralement à abonder des lignes existantes.

Les maturités moyennes tendent en outre à être plus courtes. L'adjudication du 13 novembre, par exemple, a permis de lever 5,5 milliards d'euros via l'émission d'obligations à trois ans, sept ans et 20 ans.

Cette semaine, le Trésor s'est même tourné vers les petits épargnants pour lever des fonds via des "BTP Italia", un instrument créé pendant la crise de la dette de 2011-2012. Mais l'initiative n'a guère séduit les investisseurs individuels dont les ordres cumulés ont totalisé seulement 481,35 millions d'euros le premier jour, selon les données publiées par la Bourse, contre 2,3 milliards d'euros lors de la précédente émission - qui remontait au mois de mai.

Sur deux jours, l'émission des BTP Italia a rapporté 723 millions d'euros, contre 3,7 milliards en mai.

"Je ne dirais pas que l'Italie est acculée parce qu'elle n'émet pas d'obligations longues mais c'est un élément du problème", commente Marie Owens Thomsen, responsable de la recherche économique chez Indosuez Wealth Management.

"Pour les pays qui ont des niveaux élevés d'endettement, la gestion de la dette, le profil de la dette, la maturité moyenne, tout cela est un problème."

MANQUE DE CRÉATIVITÉ

Ces dernières années, l'Italie avait bénéficié au contraire de l'appétence des investisseurs pour ses rendements.

Le programme de rachat d'actifs de 2.600 milliards d'euros de la Banque centrale européenne ayant pour effet de comprimer les coûts de financement, les investisseurs cherchaient des émissions toujours plus longues pour grappiller quelques points de rendement.

Dans ce contexte, les pays de la zone euro ont pu émettre de la dette de long terme afin d'améliorer leur profil de risque qui s'était dégradé pendant la crise du début des années 2010.

Entre 2014 et 2017, l'Italie a pu monter trois emprunts syndiqués par an, y compris en février 2016 un emprunt de neuf milliards d'euros à 30 ans puis, en octobre de la même année, un emprunt de cinq milliards à 50 ans.

Cette année à l'inverse, le Trésor n'a pu monter qu'une opération syndiquée, en janvier, qui a porté sur neuf milliards d'euros à 20 ans.

L'Espagne, à titre de comparaison, a lancé cette année quatre émissions syndiquées qui lui ont rapporté 27 milliards d'euros. Ces opérations lui ont permis d'allonger la maturité moyenne de sa dette à 7,47 ans, tout près du record de 7,58 ans atteint en juillet, selon les données du Trésor espagnol.

Selon les SVT, le Trésor italien a envisagé le lancement d'un emprunt syndiqué après l'été, possiblement à 30 ans, mais a dû y renoncer en raison des remous autour du projet de budget 2019.

Les coûts de financement à 30 ans sont proches de leur plus haut depuis cinq ans, à 4,13%. Le coupon du dernier emprunt syndiqué à 30 ans, échéance mars 2048, était à 3,45%.

Rome pourrait encore relancer l'an prochain l'idée d'un emprunt syndiqué à 15 ou 30 ans, croit savoir Filippo Mormando, stratège chez MPS Capital Services - la branche de banque d'investissement de Banca Monte dei Paschi di Siena, l'un des SVT en Italie.

Mais si les tensions politiques perdurent, l'agence de la dette devra se contenter d'émissions plus modestes, dit-il.

"Ce qui manque peut-être c'est plus de créativité, comme des obligations libellées en devises étrangères, de plus long terme et indexées sur l'inflation, ou des obligations vertes comme en France, des obligations sociales ou des choses de ce genre." (Abhinav Ramnarayan, avec la contribution de Giulio Piovaccari à Milan, Véronique Tison pour le service français, édité par Marc Joanny)