par Ann Saphir et Howard Schneider

SAN FRANCISCO/WASHINGTON, 11 juin (Reuters) - Publiées quatre fois par an, les projections des membres de la Réserve fédérale sur l'évolution des taux d'intérêt ont pris une importance telle que la banque centrale s'en trouve embarrassée dans sa communication et réfléchit désormais à limiter la portée de ces "dot plots" devenus trop envahissants.

A défaut de les supprimer, certains proposent d'en différer la publication afin qu'ils ne viennent plus téléscoper les messages de politique monétaire de la Fed.

Les "dots", ce graphique qui depuis 2012 représente de façon anonyme les projections des taux d'intérêt des membres du comité de politique monétaire (Federal Open Market Committee, Fomc) pour les années à venir, sont publiés chaque trimestre en même temps que des communiqués de politique monétaire dont le message souvent plus nuancé se trouve ainsi brouillé.

L'idée d'en limiter le retentissement s'inscrit dans le vaste débat en cours sur la communication de la Fed, et aucune mesure n'est attendue avant 2020.

Le prochain graphique sera publié le 19 juin au terme de la prochaine réunion de politique monétaire, qui devrait voir la banque centrale maintenir ses taux directeurs tout en prenant acte des incertitudes causées par les tensions commerciales.

La manière dont ces incertitudes se traduiront dans les "dots" risque fort d'accaparer toute l'attention des médias et des investisseurs, au grand dam de Jerome Powell, le président de la Fed, qui ne cache plus sa frustration de voir ce graphique anonyme de plus en plus utilisé comme un résumé des intentions de la banque centrale.

Ce n'est pas dans cet esprit qu'a été conçue cette présentation de 17 opinions distinctes sur la trajectoire des taux jugée la plus appropriée, censée se détacher des perspectives collectives figurant dans le communiqué final de la banque centrale.

"Le problème des 'dot plot' c'est leur publication simultanée avec le communiqué", avait dit la semaine dernière James Bullard, le président de la Fed de Saint-Louis, en marge d'une conférence de la banque centrale sur la stratégie monétaire et la communication qui se tenait à Chicago.

Pour Powell, cela devient un véritable "casse-tête", avait-il ajouté. "S'ils étaient publiés à un autre moment (...) ce serait moins problématique et cela ferait ressortir d'autant le communiqué du comité, qui représente vraiment ses choix réels".

Bullard ne fait pas mystère du déplaisir que ces projections lui procurent; il a dit la semaine dernière qu'il ne savait pas trop dans quelle mesure ses collègues étaient favorables à l'idée de différer leur parution. Il est rare que l'institut d'émission procède à des changements sans en avoir débattu des mois durant, si ce n'est des années.

Richard Clarida, le vice-président de la Fed, dirige une sous-commission chargée d'améliorer la communication autour de ce graphique prévisionnel, suivant le compte rendu de la réunion de politique monétaire de mars.

Ce dernier avait chargé Stephen Cecchetti, professeur d'économie de l'université Brandeis, et Kim Schoenholtz, professeur de la Stern School of Business de l'université de New York, d'élaborer une réflexion sur le thème de la communication de la banque centrale.

Dans leurs travaux publiés à l'occasion de la conférence de Chicago, les deux universitaires recommandent de rendre public plus rapidement le contexte entourant les "dots" plutôt que d'en reporter la diffusion.

La méthode suivie actuellement est de publier les marges d'incertitude entourant les projections trois semaines plus tard, en même temps que le compte rendu de la réunion de politique monétaire.

Repousser la publication du graphique même de trois semaines seulement serait "une mauvaise idée" et viendrait "réduire à l'extrême le contenu informatif de tout ce qui ressort de la réunion (de politique monétaire)", a dit Cecchetti à Reuters.

Ce graphique, quoique n'ayant jamais été conçu dans l'esprit de refléter un consensus des projections de la Fed, est néanmoins devenu très vite un pilier de sa politique ultra-accommodante car il montrait à l'évidence que les banquiers centraux convenaient que les taux resteraient bas pendant un bon moment.

Il est devenu ces derniers temps une source de volatilité. Lors de la conférence de Chicago, Powell avait observé qu'il "détournait l'attention" de l'importante question relative à la manière dont la Fed pourrait réagir à des événements économiques imprévisibles.

Si l'on prend par exemple le graphique publié à l'issue de la réunion de décembre, on y lit que deux nouvelles hausses de taux sont prévues cette année.

Le compte rendu de la réunion montrait lui que ces projections étaient massivement incertaines et les membres de la Fed voulaient à l'unanimité que le communiqué final traduise bien l'idée que toute décision de politique monétaire dépendrait des données économiques.

Mais ces informations-là ne furent publiées que trois semaines plus tard et rien n'avait transpiré immédiatement après la réunion monétaire proprement dite.

Lors de la conférence de presse qu'il donna en décembre, Powell fut régulièrement interrogé sur les "dots".

"Je n'y verrais pas un signal sur la politique monétaire, actuelle ou à court terme", avait-il répondu.

Mais, comme le remarquaient Cecchetti et Schoenholtz dans leurs travaux, c'est précisément un tel signal que tentent de détecter des "dotologues" patentés chaque trimestre.

L'aggravation des tensions commerciales et des signes de ralentissement du marché du travail aux Etats-Unis nourrissent actuellement sur les marchés financiers des anticipations de trois baisses de taux par la Fed d'ici la fin de l'année.

Le tout dernier graphique 'dot plot', publié en mars, montre que les 17 responsables de la Fed n'anticipent aucun changement de taux sur cette période.

(Véronique Tison et Wilfrid Exbrayat pour le service français,édité par Marc Joanny)