* L'Iran a admis tardivement avoir abattu l'avion ukrainien

* Le nouveau tollé fait suite aux manifestations de novembre

* "Mort au tyran", scandent des manifestants à Téhéran

* Une faible participation électorale envisagée en février

par Parisa Hafezi et Tuqa Khalid

DUBAI, 12 janvier (Reuters) - La lenteur avec laquelle la théocratie iranienne a admis son implication dans la catastrophe de l'avion d'Ukraine Airlines a exacerbé la colère de la population à son égard, qui s'était déjà exprimée lors des manifestations de novembre, et pourrait donner lieu à une crise de légitimité.

Après trois jours de dénégations, l'armée iranienne a avoué samedi avoir tiré "par erreur" un missile sur l'appareil, causant la mort des 176 personnes à bord.

Sur fond de mécontentement croissant et d'indignation internationale, l'aveu tardif des Gardiens de la révolution a dissipé l'unité retrouvée après la mort du général Qassem Soleimani, tué le 3 janvier en Irak dans une frappe américaine.

Plusieurs milliers de personnes rassemblées samedi soir à Téhéran ont scandé "Mort au tyran !", fustigeant l'attitude de l'ayatollah Khamenei, guide suprême de la Révolution.

"Excusez-vous et démissionnez", recommande dimanche le quotidien Etemad, s'adressant aux caciques du régime.

Depuis l'accident de l'avion ukrainien, qui s'est écrasé quelques minutes après son décollage de Téhéran - ce que le Canada et les Etats-Unis ont rapidement imputé à un tir iranien () -, les critiques contre le pouvoir se multiplient sur les réseaux sociaux.

Des élections législatives auront lieu le mois prochain et le régime compte sur une forte participation pour asseoir sa légitimité, mais la catastrophe et sa gestion pourraient inciter de nombreux électeurs à s'abstenir, d'autant que le scrutin n'aura pas de conséquences sur les grandes lignes politiques.

Le mécontentement de la population, nourri par la violente répression des manifestations de novembre dernier, qui a fait des centaines de morts, a trouvé une nouvelle résonance.

"Il s'agit d'une période très sensible pour le pouvoir. Ils font face à un sérieux problème de crédibilité. Non seulement ils ont dissimulé la vérité, mais ils ont mal géré la situation", observe un ancien haut représentant iranien ayant requis l'anonymat.

"MORT AU DICTATEUR"

Depuis la Révolution islamique de 1979, les dirigeants cléricaux ont écarté les obstacles à leur mainmise sur le pouvoir, mais la défiance exprimée en novembre, d'abord en réaction à la hausse du prix de l'essence, pourrait prendre une nouvelle ampleur.

"Il y aura un revers à court terme pour la crédibilité du régime et cela va accentuer la pression due aux problèmes économiques et politiques que le régime avait avant sa dernière confrontation avec les Etats-Unis", a estimé Daniel Byman, maître de recherches diplomatiques au Centre de politique pour le Moyen-Orient des Institutions Brookings.

Les gardiens de la Révolution ont présenté leurs excuses pour avoir abattu l'avion, alors que l'Iran était en état d'alerte maximum, craignant une riposte des Etats-Unis aux frappes contre des sites irakiens abritant des troupes américaines pour venger la mort de Soleimani.

Un représentant de l'aile "dure" du régime juge que cette erreur ne peut être utilisée comme une arme politique contre le pouvoir et les gardiens de la Révolution, qui rendent compte directement à Khamenei.

"Evitons d'être aussi sévères. C'était un moment sensible et tout le monde était nerveux. On ne peut pas ignorer ce que les gardiens ont fait pour protéger la nation et ce pays depuis la révolution", a-t-il expliquer à Reuters.

UN CHOC

L'ayatollah Khamenei, âgé de 80 ans, qui a toujours présenté la forte participation électorale comme un gage de légitimité, pourrait désormais constater que les Iraniens ne sont plus aussi enclins à afficher leur soutien.

"Pourquoi devrais-je voter pour ce régime ? Je ne leur fais pas du tout confiance. Ils nous ont menti à propos de l'accident d'avion. Pourquoi devrais-je leur faire confiance quand ils ne font pas suffisamment confiance au peuple pour dire la vérité ?", a déclaré Hesham Ghanbari, un étudiant âgé de 27 ans.

Le gouvernement iranien est déjà confronté à une crise économique exacerbées par les sanctions croissantes imposées par les Etats-Unis depuis leur retrait en 2018 de l'accord sur le nucléaire iranien.

"Cette tragédie ne sera pas oubliée et elle n'est pas facile à surmonter pour la population sur fond de sanctions et de pressions, pas seulement de l'étranger, mais aussi de la part de l'Etat", a estimé Sanam Vakil, chargée de recherches à la Chatham House pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord.

"Cet incident est un rappel brutal du manque cruel de gouvernance", a-t-elle ajouté.

Le système clérical a survécu à bien des crises, notamment un conflit armé de huit ans avec l'Irak dans les années 1980. Mais les classes les moins favorisées, qui constituent le socle du régime, ont été parmi les premières à manifester en novembre dernier.

Apprendre que les forces iraniennes ont abattu l'avion, par accident ou non a été un nouveau choc pour la population, alors que la plupart des passagers étaient des ressortissants iraniens ou irano-canadiens.

Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui reprochent aux autorités d'avoir passé plus de temps à nier leur implication qu'à compatir à la douleur des familles de victimes. (version française Jean Terzian, édité par Jean-Philippe Lefief)