La décision de S&P de dégrader la note souveraine de neuf des 17 pays membres de la zone euro et de priver la France et l'Autriche de leur triple A, a suscité des critiques de la part de certains responsables européens qui ne s'attendaient pas à une action d'une telle ampleur.

En Allemagne, dont le triple A a été confirmé, la chancelière Angela Merkel a déclaré que les abaissements de note soulignait la nécessité de renforcer rapidement les règles budgétaires en Europe et de mettre en oeuvre dès que possible le Mécanisme européen de stabilité (MES), appelé à prendre la suite du Fonds européen de stabilisation financière (FESF).

"Nous devons relever le défi et mettre plus vite en oeuvre l'accord budgétaire (...), et le faire résolument, sans essayer de l'adoucir", a-t-elle dit lors d'une réunion de son parti, l'Union chrétienne-démocrate (CDU), à Kiel, dans le nord de l'Allemagne.

"Nous allons tout particulièrement nous attacher à mettre en oeuvre dès que possible le mécanisme de stabilité, le MES. C'est important pour rassurer les investisseurs", a-t-elle ajouté, soulignant que la décision de S&P n'était pas une surprise.

L'ex-vice-ministre allemand des Finances désigné par Berlin pour siéger au directoire de la Banque centrale européenne avait mis en garde jeudi contre un assouplissement de l'accord européen sur le renforcement de la discipline budgétaire.

Jörg Asmussen a déclaré que la dernière version du projet représentait une "atténuation substantielle" car elle autorise des dépenses exceptionnelles dans des circonstances extraordinaires, selon des propos que lui a attribués le Financial Times Deutschland.

S&P a motivé la dégradation des notes souveraines des pays membres de la zone euro en estimant que les responsables du bloc n'avaient pas agi avec suffisamment de détermination pour surmonter la crise de la dette dont ils sous-estiment, selon elle, un facteur déterminant, à savoir les fortes divergences de compétitivité entre pays partageant la monnaie unique.

Les dirigeants de la zone euro, au premier rang desquels Angela Merkel, ont appelé les pays membres à maîtriser leurs finances publiques en augmentant les impôts et en réduisant leurs dépenses. Cette stratégie a nourri l'inquiétude des investisseurs qui redoutent l'enclenchement d'un cercle vicieux dans lequel l'austérité budgétaire alimente les déficits en freinant la croissance, d'où une forte hausse des coûts de financement des pays les plus endettés.

SIGNAL D'ALARME

L'Autriche, qui à l'instar de la France a vu son triple A dégradé d'un cran avec mise sous surveillance négative, a qualifié la décision de S&P de signal d'alarme adressé au pays pour qu'il réduise sa dette et ses déficits et aux dirigeants européens pour qu'ils accélèrent les réformes.

"La dégradation est une mauvaise nouvelle pour l'Autriche mais chacun doit réagir lorsqu'une telle chose arrive", a déclaré la ministre autrichienne des Finances Maria Fekter.

"Maintenant, chacun reconnait que cela (...) est un problème de dette et de déficits, et non principalement d'économie".

En France, le Premier ministre Français Fillon a répété que le gouvernement ne dévierait pas de son objectif "intangible" en matière de réduction des déficits, en dépit de l'affaiblissement attendu de la conjoncture cette année et de l'approche de l'élection présidentielle. Il a estimé que les investisseurs pouvaient avoir confiance en la France dont l'économie est "diversifiée" et "résistante".

La décision de S&P a affecté les pays concernés de manière différenciée avec une dégradation d'un cran pour la France, l'Autriche, Malte, la Slovaquie et la Slovénie, mais de deux pour l'Italie, l'Espagne, Chypre et le Portugal, la note souveraine de ce dernier se retrouvant désormais en catégorie spéculative.

L'Italie, en particulier, va faire face à des difficultés en raison de l'ampleur de ses besoins de refinancement cette année et de la situation de ses banques, a prévenu le gouverneur de la Banque nationale d'Autriche et membre du conseil des gouverneurs de la BCE, Ewald Nowotny.

Interrogé par une radio autrichienne sur le point de savoir si l'Italie, désormais notée BBB+ comme le Kazakhstan, constituait "le sujet de préoccupation numéro un", Nowotny a acquiescé.

"Dans un certain sens, oui, parce que nous savons que, cette année, l'Italie a un besoin de refinancement très important", a-t-il dit.

"En temps normal, cela est tout à fait réalisable, mais dans un environnement difficile et chahuté, cela peut être un problème et, de mon point de vue, cette forte dégradation de l'Italie constitue sans doute l'un des aspects les plus difficiles et les plus problématiques de ce considérable coup dur porté par l'agence de notation", a-t-il poursuivi.

La décision de S&P a ravivé les critiques à l'encontre des agences de notation en Europe. Et si la France comme l'Allemagne ont cherché à en limiter la portée, estimant qu'elle était attendue, le ministre espagnol des Finances s'est voulu plus alarmiste.

"La dégradation est beaucoup trop large, elle concerne un trop grand nombre de pays, elle atteint la crédibilité même de l'euro", a déclaré Cristobal Montoro à une radio.

"Il est important que les institutions européennes comprennent qu'il est temps de faire tout ce qui est possible pour construite et renforcer l'euro", a-t-il poursuivi alors que l'Espagne lourdement endettée affiche le taux de chômage le plus élevé de la zone euro.

LE FESF AFFAIBLI ?

Un sommet de l'UE doit se tenir d'ici la fin du mois avec comme ordre du jour le renforcement de la croissance et de la compétitivité, mais les déclarations de la chancelière allemande laissent penser que le nouveau pacte budgétaire de la zone sera aussi à l'ordre du jour.

Les dirigeants de la zone euro risquent toutefois d'être confrontés très rapidement à un autre sujet d'importance. En effet la perte de leur triple A par deux des contributeurs, la France et l'Autriche, au Fonds européen de stabilité financière risque d'en fragiliser la signature et d'augmenter ses coûts de financement, limitant donc sa capacité d'intervention pour renflouer des pays membres en difficulté.

Le fonds de sauvetage de la zone euro, pourrait conserver sa note AAA si l'Allemagne et les trois autres pays notés triple A de la zone euro augmentent leur soutien financier après le déclassement de la France et de l'Autriche, a prévenu le président du comité des notations souveraines de S&P.

"Si on a un engagement plus important des autres pays, le FESF pourrait conserver son AAA", a déclaré John Chambers, dans un entretien accordé à Reuters Insider.

Angela Merkel a toutefois rejeté cette idée samedi, déclarant que l'Allemagne n'avait pas à faire plus que d'autres pays du fait des dégradations de notes décidées par S&P.

"Les tâches nécessaires que le FESF doit remplir dans les prochains mois, je le crois très fermement, peuvent être conduites avec les méthodes actuelles", a déclaré la chancelière allemande.

"Le rôle du FESF ne sera pas torpillé. Je ne vois aucune raison de changer quoi que ce soi en ce qui concerne le FESF", a martelé Angela Merkel.

Marc Joanny pour le service français, édité par Jean-Philippe Lefief

par Brian Rohan