Les grandes catastrophes civiles aboutissent invariablement, et très rapidement, à la chasse aux responsables. Celle de Gênes n'échappe pas à la règle, d'autant qu'elle s'inscrit dans un contexte politique explosif qui permet au gouvernement des extrêmes de donner libre-cours à son discours clivant, en opposant par exemple le public et le privé ou l'étranger et le national. Jusqu'à la musique de fond, sournoise et imbécile, qui relie dépenses réalisées pour les migrants et manque de crédit pour entretenir les infrastructures.

Une catastrophe impensable

Pour autant les faits sont là : dans la troisième économie de la zone euro, l'une des dix premières du monde par le PIB, un ouvrage civil majeur a pu s'effondrer et tuer des dizaines de personnes. Il faudra trouver les responsables, ou plutôt la chaîne de responsabilité. Il est évident que cela ne se fera pas en un jour. Le gouvernement italien, qui doit aussi composer avec l'opinion publique et prendre des postures politiques, a déjà désigné le responsable : Autostrade* , qui "aurait dû davantage se préoccuper de sécurité que du dividende de ses actionnaires", a déclaré en substance le vice-président du conseil, Luigi di Maio, avant de menacer de reprendre le contrôle des autoroutes si les sociétés concessionnaires ne sont pas capables de garantir la sécurité de leurs usagers.

Atlantia a communiqué ce matin en annonçant que la décision de Rome de mettre fin à la concession accordée à Autostrade aura, évidemment, des conséquences pour les actionnaires et les créanciers du groupe. La maison-mère regrette que cette communication ait eu lieu sans aucune notification à sa filiale, alors qu'aucun élément n'est encore disponible sur les causes de la catastrophe. Juridiquement, une révocation ou une résiliation prématurée de la concession doit donner lieu à dédommagement, a même rappelé Atlantia. La société a l'obligation de ramener le débat sur le terrain objectif, même si sa position est forcément critiquée dans l'émoi qui suit le drame. Reste qu'Autostrade avait la charge du réseau incriminé et que c'est sous sa gestion que le "pont Morandi" s'est effondré. Les dirigeants, dont la démission a été réclamée, sont dans une position difficilement tenable.

Les concessionnaires sous pression

C'est la justice, pas le politique, qui tranchera la question des responsabilités. En revanche, les élus ont déjà commencé à durcir le ton sur les contrôles. En Italie, mais aussi ailleurs. Nul besoin d'être extralucide pour savoir que les exécutifs européens ont demandé, dès hier, à leurs services compétents des rapports sur l'état des infrastructures. Il ne serait pas étonnant qu'une réglementation plus stricte soit imposée pour la surveillance des grands ouvrages civils. Sur les marchés financiers, cette perspective est d'ores et déjà visible : à la Bourse de Paris le 16 août, quatre des cinq plus fortes baisses sont des entreprises du secteur : Getlink (l'ancien Eurotunnel, dont le premier actionnaire est Atlantia), Vinci, Eiffage et Aéroports de Paris.

* Autostrade per l'Italia opère 3 200 km d'autoroutes en Italie, où la société emploie 7 100 personnes. A titre de comparaison pour la France, Vinci Autoroutes (ASF, Escota, Cofiroute, Arcour), gère 4 443 km de voies et emploie 6 309 personnes. Eiffage (APRR, AREA) totalise 2 323 km et 3 500 employés. Sanef (Abertis, en cours de rachat par Atlantia et ACS) gère 2 063 km et dispose de 2 500 salariés.