Donald Trump a dégainé au cours du weekend une nouvelle menace dont il a le secret : soit la Chine accepte au plus vite un accord commercial avec les Etats-Unis (aux conditions américaines cela va de soi), soit la Maison Blanche fait passer dès vendredi de 10 à 25% la surtaxe qui frappe actuellement une enveloppe de 200 milliards de dollars annuels de produits chinois. De surcroît, un panier additionnel de 325 milliards de dollars se verrait frapper, dans les semaines qui viennent, de tarifs douaniers correspondant à 25% de leur valeur.
 
L'annonce, réalisée en deux tweets, est d'autant plus mal accueillie qu'elle intervient au moment où les marchés financiers pensaient que rien ne pourrait plus faire dérailler le processus de négociations. Cela explique la violente réaction négative des places asiatiques ce matin et les secousses subies par les bourses occidentales dans leur sillage. Il y aurait beaucoup à écrire au sujet de l'incroyable impact des saillies de Donald Trump sur son réseau social favori. Mais préférons une piqure de rappel sur le mécanisme à l'œuvre avec les mesures protectionnistes déployées à l'initiative de l'autoproclamé "Tariff Man".
 
Cela ne surprendra personne, le Trésor américain récolte d'importantes recettes additionnelles de droits de douane depuis 2018 et les premières mesures barrières à l'entrée décrétées par les Etats-Unis. Sur les six mois compris entre octobre 2018 et mars 2019, les gains ont progressé de 89% pour atteindre 34,7 milliards de dollars. Il s'agit d'une conséquence directe et quantifiable de ces barrières. Connaître les sommes récoltées aux frontières est facile. Il ne fait aucun doute que les caisses fédérales se remplissent. "Nous avons des milliards de dollars qui arrivent de Chine dans notre Trésor des milliards de dollars", s'était réjoui Donald Trump au début de l'année. Mais pour que cette politique économique soit réellement efficace, encore faut-il que les améliorations qu'elle entraîne dépassent ses inconvénients. Autrement dit, si le Trésor US s'enrichit d'un côté, il ne faudrait pas qu'il perde davantage d'un autre à cause des mesures adoptées.
 
Qui paie quoi ?
 
Par un flou savamment entretenu, la Maison Blanche laisse penser que la Chine alimente les caisses américaines. C'est le cas dans une certaine mesure, mais c'est indirect et infiniment plus complexe. Pour commencer, les droits de douane sont payés par les importateurs, pas par la puissance exportatrice. Ces importateurs sont généralement des entreprises américaines. Celles-ci peuvent faire payer leurs fournisseurs chinois pour compenser le surcoût. Dans ce schéma, les entreprises de l'ancien Empire du Milieu contribuent donc assez directement à gonfler les caisses américaines. Mais la plupart du temps, la société importatrice utilise plusieurs mesures pour mitiger l'impact. Parmi elles, citons :
  • Prendre son parti de la surtaxe en rognant sur ses marges.
  • Réduire ses coûts pour compenser la hausse.
  • Négocier des rabais de la part des fournisseurs chinois (ce qui entraîne de moindres recettes douanières).
  • Trouver des fournisseurs alternatifs non-chinois.
  • Répercuter la hausse sur les consommateurs.
  • Produire / acheter aux Etats-Unis.
 
Selon le type d'amortisseur utilisé, la charge peut glisser d'un acteur économique à un autre. L'équation est donc complexe, mais plusieurs travaux récents tendent à démontrer qu'à ce stade, le coût pour l'économie américaine est supérieur aux bienfaits. Prenons une étude parue début mars, réalisée pour le Centre for Economic Policy Research par trois chercheurs de la Fed de New York, Princeton et Columbia. "Si en principe, l'effet de l'augmentation des droits de douane sur les prix intérieurs peut être compensé par une baisse des prix pré-tarifaires pratiqués par les exportateurs étrangers pour ces produits, nous ne trouvons guère de preuves d'une telle amélioration des termes de l'échange jusqu'à présent, ce qui implique que la charge est retombée sur les consommateurs nationaux". Les chercheurs jugent même que leurs résultats "impliquent que les recettes douanières que les États-Unis perçoivent actuellement sont insuffisantes pour compenser les pertes subies par les consommateurs de produits importés". Concrètement, le revenu réel est amputé de 1,4 milliard de dollars par mois par les mesures actuelles. L'étude montre aussi que les chaînes d'approvisionnement s'en trouvent bouleversées et que la diversité des produits disponibles en souffre. Au final, le bilan est tout à fait conforme à ce que la théorie économique décrit. Qui plus est, les conclusions sont identiques pour les pays qui ont aussi érigé des barrières.
 
Des surtaxes efficaces… si elles disparaissent
 
Le "Trump-Bashing" est à la mode et mérité sur de multiples aspects. Mais il est indéniable que le Président américain cherche à rééquilibrer les termes de l'échange avec la Chine, ce qui profitera non-seulement aux Etats-Unis mais à tous les autres partenaires commerciaux du pays. Les questions liées à la contrefaçon et plus généralement à la propriété intellectuelle, à l'exploitation des données ou aux investissement étrangers en Chine trouveront probablement des réponses concrètes si Washington et Pékin parviennent à un accord. Dans un tel scénario, les barrières douanières disparaîtront car elles n'auront été qu'un instrument pour parvenir à une rationalisation probablement légitime des relations commerciales sino-américaines. Finalement, la doctrine Trump, pas aussi simpliste qu'il n'y paraît, aura prouvé son efficacité.