(Reuters) - Alors que son fils a été aperçu pour la dernière fois être transporté par l'armée birmane, il y a près d'un an, Win Hlaing dit simplement vouloir savoir si celui-ci est en vie.

Une nuit d'avril dernier, un voisin a appelé l'homme de 66 ans pour l'informer que son fils, Wai Soe Hlaing, père d'un enfant et directeur d'un magasin de téléphonie à Rangoun, le carrefour commercial du pays, avait été arrêté en lien avec les manifestations contre le coup d'Etat militaire du 1er février 2021.

Win Hlaing et l'Association d'aide aux prisonniers politiques (AAPP), une organisation à but non-lucratif qui recense les arrestations et assassinats menés par la junte, disent avoir remonté la trace de Wai Soe Hlaing, 31 ans, jusqu'à un poste de police local.

Puis la piste s'est refroidie. Le trentenaire s'est évaporé.

Reuters a contacté le poste de police mais n'a pas été en mesure de confirmer l'endroit où se trouvait Wai Soe Hlaing, ni les proches portés disparus de deux autres personnes ayant livré leurs témoignages.

Un porte-parole de la junte n'a pas répondu à des demandes de commentaire.

Wai Soe Hlaing fait partie des nombreuses personnes dont des ONG et des familles dénoncent la disparition depuis que la Birmanie a plongé dans le chaos avec le putsch militaire, lors duquel la dirigeante démocratiquement élue Aung San Suu Kyi et son gouvernement ont été chassés du pouvoir. Placée depuis lors en détention dans un lieu tenu secret, la lauréate du prix Nobel de la paix 1991 est la cible d'une dizaine de procédures judiciaires.

Selon les estimations de l'AAPP, plus de 8.000 personnes ont été placées en détention dans des prisons ou des centres d'interrogation, tandis qu'environ 1.500 autres ont été tuées dans le cadre de la répression des manifestations contre la prise de pouvoir militaire. Reuters n'a pas pu vérifier indépendamment les données rapportées par l'AAPP.

Des centaines de personnes seraient mortes après leur placement en détention.

RECHERCHE DE DÉTENUS

La junte conteste le bilan rapporté par l'AAPP et accuse celle-ci de répandre de fausses informations. Elle n'a pas communiqué le nombre de personnes arrêtées.

En cas d'arrestation, l'armée ne notifie pas les proches, et il est rare que les responsables pénitentiaires le fassent au moment de l'entrée en prison. Les familles partent donc laborieusement à la recherche de leurs proches en contactant et en se rendant dans des commissariats et des prisons, ou en s'appuyant sur les informations de la presse locale et d'ONG.

Un rapport de Human Right Watch indique que les familles envoient parfois des paquets alimentaires dans des prisons; si ceux-ci sont acceptés, elles considèrent cela comme un signe que leurs proches sont effectivement détenus.

Dans de nombreux cas, a déclaré Bo Kyi, le co-fondateur de l'AAPP, l'association parvient à déterminer qu'une personne a été arrêtée, mais pas son lieu de détention.

Tae-Ung Baik, qui préside un groupe de travail de l'Onu sur les disparitions forcées, a déclaré à Reuters que le groupe avait été informé par des familles birmanes de disparitions forcées depuis février dernier, qualifiant cette situation d'"extrêmement alarmante".

Aung Nay Myo, un activiste de 43 ans ayant fui la région de Sagaing, dans le nord-ouest, a déclaré que l'armée avait arrêté ses parents et des membres de sa famille à leur domicile, mi-décembre, et qu'il ne savait pas où ceux-ci se trouvaient.

Il a dit penser que ces arrestations étaient dues à son travail d'écrivain satirique. "Je ne peux rien faire à part m'inquiéter à chaque instant", a-t-il confié, indiquant que son père, âgé de 74 ans, souffrait des séquelles d'une crise cardiaque.

Deux postes de police de Monywa, leur ville d'origine dans la région de Sagaing, n'ont pas répondu à des demandes de commentaire.

IMAGE VIRALE

La résistance face au putsch militaire a basculé dans certaines régions en conflit armé, avec pour effet de déplacer des dizaines de milliers de personnes à travers le pays, selon l'Onu. Des milliers de personnes ont franchi les frontières vers la Thaïlande ou l'Inde.

Les affrontements sont particulièrement violents dans la région de Kayah, dans le nord-est, où une association de défense des droits de l'homme à but non-lucratif a dit déplorer la disparition d'au moins 50 personnes. Karenni tente d'aider les familles dans leurs recherches, en demandant à des personnes libérées récemment de prison de citer les noms de détenus dont elles se souviennent.

Myint Aung, quinquagénaire habitant désormais dans un camps de déplacés à Kayah, a fait savoir que son fils Pascalal, âgé de 17 ans, avait disparu en septembre dernier après avoir annoncé qu'il se rendait à Loikaw afin de connaître la situation sur place.

Dans un entretien téléphonique à Reuters, il a dit avoir été informé par des villageois que son fils avait été arrêté par les forces de sécurité. Il n'a, depuis, plus de nouvelles de son fils.

Banyar Khun Naung, le directeur de Karenni, a déclaré que l'adolescent était l'un des deux jeunes photographiés au moment de leur arrestation par les forces de sécurité après avoir effectué le salut des manifestants anti-junte. La soeur de Pascalal a confirmé par téléphone qu'il s'agissait de lui.

La photo, largement partagée sur les réseaux sociaux, est apparue sur un compte qui semblait appartenir à un soldat haut-gradé, avec la légende: "Nous les laissons faire ce qu'ils veulent avant de leur mettre une balle dans la tête". Ce compte a par la suite été supprimé.

La police de Loikaw n'a pas répondu à des appels téléphoniques de Reuters pour obtenir un commentaire.

(Reportage Thu Thu Aung, avec Poppy McPherson; version française Jean Terzian)

par Thu Thu Aung