Qu’est-ce que la confiance ? 

Il n’est pas facile de définir le concept de confiance. D’ailleurs il existe différents courants scientifiques et philosophiques pour l'expliquer. Partons du simple principe que la confiance peut être définie, comme le dictionnaire le prévoit, de la manière suivante : “Sentiment de quelqu'un qui se fie entièrement à un individu ou à un système”. La confiance peut prendre diverses formes : la confiance en un ami, en un professionnel de santé, en Dieu, en un gouvernement, en une plateforme d’échange de cryptomonnaies ou encore en une monnaie. Et la confiance n’exige pas une maîtrise et compréhension complètes de tous les composants techniques qui constituent un système particulier. 

Par exemple, il n’est pas nécessaire de comprendre le fonctionnement technique d’un avion pour être “sûr” que l’avion volera en toute sécurité et arrivera à destination. La confiance peut être obtenue grâce aux expériences antérieures et aux connaissances générales accumulées au fil du temps. Dans le cas d’un avion, nous avons la connaissance commune que très peu d’avions s’écrasent et nous avons confiance dans les ingénieurs qui ont conçu, testé et validé toutes les pièces de l’avion ainsi qu’aux multitudes de réglementations de sécurité qui contraignent les compagnies aériennes afin que le voyage se passe en toute sécurité. 

Mais comme nous l’avons vu ou vécu, cette confiance peut se perdre ou du moins s’effriter que ce soit envers une personne ou un système. Reprenons nos avions. Les accidents mortels du Boeing 737 Max en 2019 ont engendré automatiquement une baisse de confiance envers cette catégorie d’avion aussi bien du côté des passagers que du côté du personnel navigant : “Il faut que nous puissions faire confiance à Boeing quant à la divulgation sincère des informations nécessaires au fonctionnement de nos avions en toute sécurité", Capitaine Jonathan Weaks, président de l'Association des pilotes de Southwest Airlines (SWAPA). Cela montre bien à quel point la notion de confiance peut s’épuiser rapidement. 

Mais comment Sam Bankman-Fried a obtenu la confiance des utilisateurs et des fonds d’investissement grâce “aux expériences antérieures et aux connaissances générales accumulées au fil du temps” ? 

Sam Bankman-Fried a acheté sa réputation  

L’un des principaux objectifs de Sam Bankman-Fried était de créer rapidement un cadre réglementaire profitable pour lui-même en acquérant des participations dans des entreprises qui ont déjà obtenu des licences des autorités, et donc en raccourcissant le processus d'approbation souvent long. FTX a dépensé au total quelque 2 milliards de dollars en "acquisitions à des fins réglementaires". L'année dernière, par exemple, elle a acheté LedgerX LLC, un marché à terme, ce qui lui a permis d'obtenir trois licences de la Commodity Futures Trading Commission d'un seul coup. Ces licences ont permis à FTX d'accéder aux marchés dérivés américains des matières premières en tant que bourse réglementée. Ce qui a par répercussion d'améliorer sa réputation et donc, probablement, d’encourager en quelque sorte la négligence de certains régulateurs. 

FTX considérait également son statut réglementaire comme un moyen d'attirer de nouveaux capitaux de la part de grands investisseurs. Dans les documents destinés à appuyer sa demande de centaines de millions de dollars de fonds, FTX a présenté ses licences comme un avantage concurrentiel clé. Les "douves réglementaires", disait-elle, créaient des barrières pour les rivaux et lui donneraient accès à de nouveaux marchés et partenariats lucratifs hors de portée des entités non réglementées.

La société avait fait l'objet d'une certaine surveillance réglementaire grâce aux dizaines de licences qu'elle avait obtenues par le biais de ses nombreuses acquisitions. Mais cela n'a pas protégé ses clients et ses investisseurs, qui doivent maintenant faire face à des pertes totalisant des milliards de dollars. Comme l'a rapporté Reuters, FTX a secrètement pris des risques avec les fonds de ses clients, utilisant 10 milliards de dollars de dépôts pour soutenir une société de trading appartenant à Bankman-Fried.

Acheter des sociétés pour obtenir des licences présentait également d'autres avantages : cela pouvait donner à Bankman-Fried l'accès qu'il désirait aux régulateurs. Un accord conclu avec la plateforme boursière américaine IEX, qui a été annoncé en avril, en est un bon exemple. Dans une interview conjointe à CNBC, Bankman-Fried et le PDG d'IEX, Brad Katsuyama, ont déclaré qu'ils voulaient "façonner une réglementation qui, en fin de compte, protège les investisseurs.” Ce qui importe le plus ici, a ajouté Bankman-Fried, “c'est qu'il y ait de la transparence et une protection contre la fraude."

Ces “acquisitions à des fins réglementaires” ont inévitablement eu pour répercussion de maximiser le degré de réputation de FTX, et implicitement la confiance portée à l’entité, ce qui a favorisé la négligence de certains acteurs à effectuer des audits de la plateforme avant d'investir. En règle générale, pour obtenir la confiance des investisseurs, une voie consiste à se réguler – la voie empruntée par Coinbase, qui est cotée en bourse aux États-Unis. L'autre est de s'appuyer en grande partie sur la réputation - la voie empruntée par FTX, basée aux Bahamas. Le fondateur de FTX a bâti cette réputation grâce à une combinaison de parrainage d'événements sportifs, de lobbying politique, d'association avec des dirigeants politiques, de rachats d’entités stratégiques et de marketing intelligent. Tout cela a été aidé par la hausse fulgurante de la valorisation de FTX via un stratagème perfide avec sa cryptomonnaie FTT promettant des rendements garantis supérieurs à 10%. 

Dans cette logique, Sam Bankman-Fried a maximisé le degré de confiance des utilisateurs en poussant le curseur réputationnel à son paroxysme. Avant qu’un grain de sable ne vienne enrayer définitivement la machine.  

FTX est aux antipodes de la vision de Satoshi Nakamoto

Nous pouvons considérer que la nécessité de confiance réside où l’incertitude règne. Autrui peut-être défaillant en ne tenant pas ses engagements - coucou SBF -, une autorité souveraine peut être plus faible que l’on pensait, une société détentrice de données personnelles peut être piratée, un homme peut corrompre sa foi envers Dieu… Philosophiquement, la technologie de la blockchain tend alors, par le biais mathématique et algorithmique, à permettre aux individus de traiter entre eux en éliminant le besoin de confiance. 

Satoshi Nakamoto, le créateur du Bitcoin, n’a à aucun moment promis de retour sur investissement dans ses écrits, et encore moins d’une “garantie”. Ce sont des individus malveillants, post création du réseau Bitcoin, qui ont profité de l’engouement autour de la devise numérique et qui ont eux-mêmes créé leur propre système. Le tout en surfant sur une technologie peu comprise et promettant un nouveau monde décentralisé. Nous avons ici tous les ingrédients pour voir naître des arnaques. 

Malgré tous les discours sur le déracinement de l'establishment, la crypto a réaffirmé le désir humain de gagner rapidement de l'argent par tous les moyens nécessaires. FTX n'est que le dernier d'une longue série de scandales crypto allant de BitConnect, Mount Gox à Terra/Luna en passant par Three Arrows. Celles-ci partagent à leur tour certains parallèles avec d'autres débâcles comme celles de Lehman, Enron et la South Sea Company - depuis les années 1700. Les détails FTX peuvent différer, mais ils partagent des ingrédients communs pour les scandales d'origine humaine, comme le gonflement de la valeur des bilans, les tactiques pour augmenter la valeur des actions/jetons et le marketing intelligent.

Dans le White Paper de Bitcoin, autrement dit les écrits de Satoshi Nakamoto décrivant le réseau Bitcoin, l’aspect financier n’est quasiment jamais évoqué. Les aspects techniques de la technologie de la blockchain, sa vision libertarienne et les problèmes liés au système bancaire moderne sont principalement mentionnés.  

Voici la seule occasion pertinente, d’après mes recherches, dans les citations du mystérieux créateur où la mention de valeur est évoquée :

  • “C'est plus typique d'un métal précieux. Au lieu que l'offre change pour garder la même valeur, l'offre est prédéterminée et la valeur change. À mesure que le nombre d'utilisateurs augmente, la valeur par pièce augmente. Il a le potentiel d'une boucle de rétroaction positive ; à mesure que les utilisateurs augmentent, la valeur augmente, ce qui pourrait inciter davantage d'utilisateurs à profiter de la valeur croissante.”

Bien évidemment, au vu de la fluctuation du cours du bitcoin, les rendements peuvent être très élevés et les risques de perte de capital ne sont pas à exclure. Mais cette variation du cours est la conséquence du jeu de l’offre et de la demande sur le bitcoin et de prises de positions avec effet de levier sur les marchés financiers. En détenant du bitcoin, il faut avoir conscience que son cours peut fortement varier. Mais il ne s'agit pas d’une entourloupe technique codée dans le logiciel open source de Bitcoin. 

Celui-ci fonctionne précisément sur l'ensemble de principes opposés aux entités centralisées de l’écosystème crypto. En tant que logiciel open source distribué qui nécessite un consensus majoritaire pour être modifié, chaque ligne de code est connue et aucune autorité centrale ne peut la modifier. En treize années d’existence, Bitcoin s’est révélé inviolable et toujours complètement transparent. Un principe clé de Bitcoin est de vérifier plutôt que de faire confiance - Verify, don’t trust. Le logiciel permettant d'exécuter un nœud complet peut être librement téléchargé et exécuté sur un PC. Il est possible d’auditer l'ensemble de la blockchain et l'ensemble de la masse monétaire depuis la création du réseau. Il ne repose sur aucun site Web, aucun centre de données critique et aucune structure d'entreprise. Autrement dit, il est décentralisé, immuable et autovérifiable. 

Il existe donc de mauvais acteurs dans l'écosystème crypto, comme dans beaucoup de secteurs économiques. Les personnes qui comptent sur d'autres individus pour détenir leurs clés privées (plutôt que de le faire elles-mêmes) ont parfois perdu leurs crypto à cause de mauvais dépositaires, mais pas parce que le logiciel de base Bitcoin a échoué. Les échanges de tiers peuvent également être frauduleux ou piratés. Les stratagèmes de phishing ou autres fraudes peuvent amener les gens à révéler leurs clés privées ou les informations de leur compte ce qui aboutit à un risque de vol des actifs. Néanmoins, ces fraudes ne sont pas associées au Bitcoin lui-même, mais à des acteurs malveillants qui rôdent autour de l’écosystème. 

Mais le passage par la centralisation est-il inévitable ? Dans de prochains articles nous explorerons les enjeux et les risques autour de la finance décentralisée (DeFi) et de ses accointances secrètes avec la finance centralisée (CeFi).