Si vous vous intéressez à la technologie de la blockchain, vous saurez qu'elle a le potentiel de générer des gains de productivité dans multiples secteurs, que ce soit les marchés financiers, le marché de l’énergie, les chaînes d’approvisionnement ou encore dans les entreprises impliquées dans le metaverse. Vous savez, ce monde virtuel dont on ne maîtrise pas encore les tenants et aboutissants et dont le PDG de Meta, Mark Zuckerberg, en fait des louanges. Revenons-en à notre technologie révolutionnaire. Entre promesse de désintermédiation, amélioration de la transparence des transactions et réduction des coûts de transaction, entre autres, l’adoption de la blockchain a dépassé les frontières des pays développés. Coup d'œil sur les pays qui possèdent le plus de détenteurs de cryptomonnaies, et donc implicitement, le plus d'utilisateurs de la technologie précédemment décrite. 

Part des personnes interrogées qui ont indiqué qu'elles possédaient ou utilisaient des cryptomonnaies dans 23 pays du monde entier de 2019 à 2021.
Source : Statista

Méthodologie : Entre 2000 et 12000 répondants par pays (personnes âgées de 18 à 64 ans)

Le Nigeria est loin devant en termes d’utilisateurs de cryptomonnaies avec 42% des répondants qui déclarent détenir des actifs numériques. En deuxième position, nous retrouvons la Thaïlande avec 31% et en troisième les Philippines avec 28%. Je sais ce que vous vous dites : “Quid de la France ?”. Elle se positionne 57ème du classement avec une adoption équivalente à 8% des interrogés en conservant la méthodologie précédemment évoquée. 

Comme nous pouvons le voir sur le graphique précédent, les cryptomonnaies sont particulièrement populaires dans les marchés émergents tels que l’APAC (Asie-Pacifique), l'Afrique et  l'Amérique latine. D’après une étude menée par Toluna (société qui produit des études de marché), 75% des investisseurs dans les pays émergents envisagent d’augmenter leurs allocations d’investissement dans les crypto-actifs, contre 57% dans les marchés développés. 

Il est également mentionné dans l'étude que :

“- 32 % des consommateurs des marchés émergents déclarent avoir confiance dans la crypto-monnaie, contre seulement 14 % dans les marchés développés

- 41 % des consommateurs des marchés émergents déclarent avoir investi dans la crypto-monnaie, contre 22 % dans les marchés développés”

Mais alors qu’est-ce qui pousse davantage la population des pays émergents, en comparaison avec les pays développés, à se lancer dans l’écosystème crypto-blockchain ? 

Réduire les coûts

Selon le rapport de The World Bank intitulé la “Remittance Flows Register Robust 7.3 Percent Growth in 2021” les envois de fonds vers les pays à faible revenu ont atteint plus de 580 milliards de dollars (en hausse de 7,3% par rapport à 2020) en 2021. Globalement, ces envois de fonds servent de bouée de sauvetage afin de soutenir les dépenses des ménages pour leurs besoins vitaux tels que la nourriture, la santé mais aussi pour l’éducation. A titre d’exemple, ces flux ont augmenté de 21,6% en Amérique latine et 9,7 % au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les envois de fonds devraient continuer de croître de 2,6% en 2022 conformément aux prévisions macroéconomiques mondiales. 

Le coût d’envoi de 200 dollars à travers les frontières internationales est toujours très élevé. Il représente en moyenne 6,4% du montant transféré selon la base de données des prix des envois de fonds de la Banque mondiale. Dans ce cadre, nous comprenons pourquoi une bonne partie de la population dans les pays émergents (ayant de faibles revenus) se tourne vers des solutions blockchains. A titre d’exemple, en utilisant le réseau Bitcoin nous pouvons envoyer de la valeur n’importe où dans le monde pour moins de 2$ à l’heure où j’écris ces lignes. 

 

Frais moyen par transactions sur Bitcoin
Source : bitinfocharts

En fonction du nombre d’utilisateurs et de transactions sur une période donnée, les frais peuvent exploser et les délais d'exécution augmenter. En revanche, Bitcoin est une formidable alternative au système bancaire actuel d'un point de vue financier. Et les plus habiles pourraient utiliser d’autres réseaux blockchains pour envoyer de la valeur, comme le réseau Solana ou celui de Binance par exemple, afin d'optimiser les frais de transaction. Vous me direz : “Oui mais ces pays ne doivent pas avoir une couverture internet très développée ?” Coup d'œil sur le nombre d'utilisateurs d'Internet dans le monde.
 
Nombre d’utilisateurs d’Internet pour 100 habitants en 2019.
Source : Statista

Les données sont relativement difficiles à estimer dans certaines régions du globe lorsque nous parlons de couverture internet. Mais à titre d’exemple, en 2011, le taux de couverture était de 11% en Afrique et se retrouve désormais à 28% de 2019. Nous prenons pas beaucoup de risque en disant que ce pourcentage va augmenter dans les prochaines années. Un facteur qui sera favorable à une adoption plus importante des services crypto-blockchains.

Si la réduction des coûts est un avantage non négligeable pour les populations dans ces pays, l’inclusion financière l’est tout autant.

Inclusion financière

Toujours selon la banque mondiale, plus de deux milliards de personnes (25%) dans le monde seraient sans compte bancaire. Vous vous en doutez bien là aussi, une grande partie de ces personnes se trouve dans les pays émergents. Avec différents services cryptographiques comme BitPesa en Afrique, OkCoin en Chine, OkLink en Inde ou encore Coin.ph aux Philippines des centaines de millions de personnes ont accès à des services financiers via des cryptomonnaies. Ces sociétés fournissent leurs services directement via des applications mobiles et permettent aux utilisateurs de se procurer et d'échanger des cryptomonnaies à travers le monde. Dans ces pays avoir un ordinateur reste à la marge, mais la détention de téléphone se développe. 

Les principaux pays/marchés en termes d'utilisateurs de smartphones en 2020.
Newzoo.com

En 2020, le Nigeria comptait plus de 40 millions d'individus possédant un smartphone, soit 20% de la population totale. De son côté, le marché des smartphones en Thaïlande affiche un taux de pénétration de 60% et aux Philippines 41%. Pour ces détenteurs de smartphone, l’alternative des cryptomonnaies pour s’échanger de la valeur n’est pas négligeable. Ces utilisateurs adoptent principalement des plateformes Peer-to-Peer (P2P) pour s’échanger des cryptomonnaies plutôt que des plateformes centralisées traditionnelles.

Les parts de marché par continent pour le trafic P2P
Source : Chainanalysis

Pour s’échanger de la valeur, les pays émergents se tournent davantage vers les plateformes Peer-to-Peer (P2P). Une explication me semble nécessaire pour expliquer le fonctionnement des échanges P2P. 

Plateformes d’échange traditionnelles

Vous connaissez très probablement les plateformes telles que Binance ou Coinbase pour se procurer des cryptomonnaies. Les échanges s’effectuent à travers un carnet d'ordres afin de faire rencontrer les acheteurs et vendeurs sur un marché d'échange d'actifs numériques. Dans ce système, ni l’acheteur ni le vendeur n’ont la moindre idée de qui est l’autre partie, ce qui délivre une certaine forme d’anonymat. 

Plateforme Peer-to-Peer

Le Bitcoin a été créé à l’origine pour permettre des transactions peer-to-peer. D’ailleurs, le document émis par le mystérieux créateur de la devise numérique, Satoshi Nakamoto, avait intitulé son document : Bitcoin A Peer-to-Peer Electronic Cash System

Autrement dit, peer-to-peer signifie une relation en tête-à-tête. Dans ce cadre de transaction, vous possédez des données relatives concernant la personne ou l'entité avec laquelle vous interagissez, plutôt que d’interagir avec plusieurs parties différentes. Les informations que vous avez sur cette personne ou cette entité peuvent être une adresse de portefeuille bitcoin ainsi qu'un emplacement et une adresse IP.

Par exemple, lorsque vous achetez du bitcoin à quelqu'un sur Binance il y a peu de chances que ce soit ceux de votre voisin car sur cette plateforme tous les acteurs sont ensemble à travers le carnet d'ordres. Si vous voulez acheter des bitcoins à votre voisin, vous pourriez initier un transfert peer-to-peer pour être sûr de commercer avec lui. Cette fois-ci vous négocierez directement avec lui.  Un système qui permet de réduire à quasiment 0 les frais de transactions. 

Maintenant que nous comprenons un peu mieux la différence entre les deux modèles d'échange, revenons-en à nos pays émergents. On remarque que sur le graphique ci-dessus, le plus gros des volumes P2P sont réalisés par les régions où sont situées les pays émergents. Ces données reflètent la facilité d’échange de valeurs entre les individus via la blockchain et les cryptomonnaies. Il est probablement plus facile d’envoyer et de recevoir de la valeur via les applications P2P crypto que via un système bancaire coûteux que proposent certains pays. 

Éliminer la corruption

Finissons par l’un des problèmes majeurs auxquels sont confrontés les pays en développement. Des pays où la concentration des richesses est aux mains d’un très faible pourcentage de la population et où plus de 70% de la population survit en dessous du seuil de pauvreté. Le détournement d’argent et la corruption sont omniprésents notamment en Afrique.

Etat de la corruption dans le monde
Source : Statista

Les pays soumis le plus à la corruption se situent principalement dans les marchés émergents. Les fonctionnaires de l’Etat gèrent d’une main de fer les fonds alloués au pays sans la moindre transparence au dépit de la population. Nous pourrions facilement imaginer que l’utilisation de la blockchain et des monnaies numériques, notamment les smart contracts (pour mieux comprendre ces contrats intelligents : Episode 7 : Le Web 3.0, le contrat intelligent est-il une réalité ou une utopie numérique ?), pourraient favoriser la transparence des transactions au sein de ces pays. Les enregistrements sur une blockchain publique étant accessibles à tous les citoyens permettraient de suivre de manière transparente la façon dont les fonds sont alloués. Des solutions qui seront favorables pour la population mais peut-être, et même très sûrement, qui seront plus contraignantes pour les dirigeants des ces pays aux intentions obscures.

Ici nous avons fait un état des lieux de l’environnement crypto-blockchain des pays émergents. Si nous avons vu de nombreux points positifs quant à l’adoption de ces solutions, des questions demeurent quant à l'évolutivité, l'interopérabilité, la sécurité, les coûts de transition, la confidentialité des données et la gouvernance de la blockchain. Les chefs d'entreprise et les décideurs politiques devront réfléchir longuement et sérieusement à la question de savoir quand et dans quelles conditions une initiative blockchain peut être justifiée. Des enjeux propres à chaque pays qui ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble des pays émergents. Comptez sur moi pour vous présenter un focus des solutions blockchains et de leurs répercussions dans chaque région. A retrouver très vite dans les colonnes de Zonebourse