* Donald Tusk a reçu en fin de soirée la demande britannique d'un nouveau report du Brexit

* Les Européens demandent des clarifications à Londres

* Macron juge qu'"un délai ne serait dans l’intérêt d’aucune partie"

* Cinquante heures après le "miracle de Bruxelles", c'est le retour de l'incertitude autour de la sortie britannique de l'UE (.)

par William James, Elizabeth Piper et Kylie MacLellan

LONDRES, 19 octobre (Reuters) - Ce devait être le grand jour de Boris Johnson. La séance extraordinaire qui s'est tenue samedi à la Chambre des communes a débouché sur un nouveau coup de théâtre et l'interminable feuilleton du Brexit qui dure depuis plus de trois ans a rebasculé dans l'incertitude.

Réunis depuis le début de la matinée à Westminster, les députés britanniques ont adopté en milieu d'après-midi par 322 voix contre 306 un amendement qui reporte tout vote sur l'accord arraché par le Premier ministre britannique à Bruxelles tant que la législation nécessaire à son application n'aura pas été votée au Parlement.

Par leur décision, les élus des Communes ont enclenché une autre loi, adoptée début septembre par les opposants à une sortie sans accord.

La loi Benn exige de Boris Johnson qu'il "cherche à obtenir" ("seek to obtain") par une lettre adressée au président du Conseil européen, Donald Tusk, une extension du calendrier de la sortie du Royaume-Uni de l'UE jusqu'au 31 janvier 2020 dans l'éventualité où le Parlement britannique n'approuvait pas un accord de retrait ou un divorce sans accord à la date de ce samedi 19 octobre.

Cette lettre est arrivée en fin de soirée sur le bureau de Donald Tusk.

D'après une source gouvernementale britannique et un responsable européen confirmant les informations de plusieurs médias, Boris Johnson ne l'a pas signée mais s'est contenté d'une photocopie du modèle intégré à la loi Benn. Une seconde lettre de "couverture" a été signée par l'ambassadeur du Royaume-Uni auprès de l'UE, Tim Barrow, qui explique que le gouvernement est tenu par la loi de demander ce report.

Le Premier ministre britannique, conformément à ses déclarations de la journée, a également rédigé une troisième lettre dans laquelle il indique aux Européens qu'un report du Brexit serait une erreur.

UN BREXIT LE 31 OCTOBRE RESTE UNE POSSIBILITÉ

Alors que l'annonce du vote de l'amendement était accueilli par les applaudissements des manifestants anti-Brexit venus en nombre devant la Chambre des communes, à l'intérieur du Parlement, Boris Johnson, partisan d'un Brexit le 31 octobre "avec ou sans accord", déplorait le choix majoritaire des députés et précisait qu'il ne négocierait pas de report avec l'Union européenne.

"Je ne négocierai pas de report avec l'Union européenne et la loi ne m'y contraint pas", lançait-il sur un ton de défi.

"Je vais dire à mes amis et mes collègues de l'UE exactement ce que j'ai dit à tous au cours des 88 derniers jours, depuis que je sers en tant que Premier ministre : que tout report serait mauvais pour ce pays, mauvais pour l'Union européenne et mauvais pour la démocratie."

L'initiative du Parlement accroît pourtant les probabilités d'un nouveau report du divorce, qui était initialement programmé le 29 mars dernier avant d'être décalé en deux temps jusqu'au 31 octobre.

Néanmoins, même si les Européens acceptent la requête désormais entre leurs mains, Johnson pourrait encore accomplir la mission qu'il s'est assignée et faire sortir le Royaume-Uni de l'UE à la date du 31 octobre.

A condition de faire adopter d'ici là par le Parlement les textes législatifs afférents. "Si les parties sont en mesure de ratifier (ndlr, un accord de retrait) avant cette date (du 31 janvier 2020), le gouvernement propose que cette période soit abrégée", dispose en effet la loi Benn.

Selon Jacob Rees-Mogg, le ministre britannique chargé des Relations avec le Parlement, un nouveau vote sur l'accord sera organisé lundi mais cette décision revient au président de la Chambre des communes, John Bercow, qui a dit qu'il se prononcerait sur la question lundi.

LES EUROPÉENS DEMANDENT DES CLARIFICATIONS DÈS QUE POSSIBLE

A Bruxelles, la porte-parole en chef de la Commission européenne, Mina Andreeva, si tôt le vote connu, a indiqué que la Commission européenne avait "pris note" de la décision des Communes et qu'il appartenait au gouvernement britannique de l'"informer dès que possible des prochaines étapes".

Les ambassadeurs des Vingt-Sept se retrouveront dimanche à 09h30 (07h30 GMT) pour évoquer la suite du processus.

Au-delà de Bruxelles, la séance extraordinaire de ce samedi à Londres était scrutée de près par les partenaires du Royaume-Uni, dont une partie - la chancelière allemande Angela Merkel et le chef de l'Etat français Emmanuel Macron en tête - aspire à pouvoir tourner la page de l'interminable feuilleton du Brexit.

S'en tenant à la ligne qu'il tient depuis plusieurs mois, Emmanuel Macron, qui s'est entretenu avec Boris Johnson dans l'après-midi, a insisté sur "la nécessité d’une clarification rapide de la position britannique sur l’accord négocié et finalisé" et indiqué qu’"un délai ne serait dans l’intérêt d’aucune partie", a rapporté l'Elysée.

"AUSSI SIMPLE QUE CELA"

Dans la matinée, Boris Johnson s'était efforcé de convaincre les membres de la Chambre de communes, qui avaient rejeté à trois reprises l'accord de Brexit négocié par Theresa May, de donner cette fois-ci leur feu vert à son nouvel accord.

"Le moment est venu pour cette grande Chambre des communes de se réunir et de rassembler le pays aujourd'hui", avait-il déclaré en ouverture de ce débat extraordinaire - les députés britanniques n'avaient plus siégé un samedi depuis la guerre des Malouines, en 1982.

Sans surprise, le chef de file du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, n'avait lui pas mâché ses mots contre l'accord, estimant qu'il était "encore pire que celui que cette Chambre a rejeté à trois reprises" sous le gouvernement de Theresa May.

L'homme qui a fait dérailler les projets de Boris Johnson, une cinquantaine d'heures à peine après son annonce d'un "excellent nouvel accord" avec Bruxelles, se nomme Oliver Letwin.

Cet ancien ministre de 63 ans, exclu des rangs du Parti conservateur le mois dernier pour avoir voté en faveur de la loi Benn, soupçonnait les plus ardents Brexiters de ne pas avoir renoncé à leur projet d'un divorce sans accord.

Dans ce cas de figure, ces derniers auraient approuvé dans un premier temps l'accord laborieusement obtenu par Johnson à Bruxelles mais auraient ensuite bloqué la loi de mise en oeuvre l'inscrivant dans la loi britannique, précipitant ainsi un "No Deal", une sortie sèche de l'Union européenne, à la date du 31 octobre.

"Mon objectif est de faire en sorte que l'accord de Boris réussisse, mais que nous ayons aussi une police d'assurance qui empêche le Royaume-Uni de sortir accidentellement et par erreur le 31 octobre si quelque chose se passe mal lors de l'examen de la loi de mise en oeuvre", explique-t-il dans les motivations de son amendement. "Aussi simple que cela."

Trois ans et quatre mois après le référendum du 23 juin 2016 par lequel ils ont voté à 52% pour le Brexit, les Britanniques ignorent toujours quand - et si - ils quitteront l'Union européenne.

Et les déchirures nées de la campagne référendaire sont toujours bien présentes. Plusieurs ministres et responsables politiques de premier plan, dont Jacob Rees-Mogg et Diane Abbott, porte-parole du Labour pour les questions de politique étrangère, ont dû être escortés par des policiers à leurs sortie de Westminster.

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