Willliam Higgons gère avec Audrey Bacrot et son fils Victor ce fonds value bien connu de la place de Paris pour son ancienneté et ses performances (+13,1% par an depuis 1993). Après plus de deux années difficiles pour le fonds, sanctionnées par une décollecte importante, la fin d’année 2020 est prometteuse avec un retour de la collecte et de la performance en territoire positif sur fonds de regain d’intérêt pour les valeurs décotées…

William Higgons, vous faites figure de référence parmi les gérants value de la place. Pourtant, vous avez sélectionné des valeurs de croissance depuis quelques temps et une valeur comme Albioma figurait en première place dans le fonds à fin octobre. Avez-vous évolué dans votre approche ?

"Nous sommes toujours value ! Pour nous, cela se traduit par une décote moyenne des sociétés en portefeuille de 25% sur le ratio Price/Cash Flow moyen de notre indice de référence, l’indice CAC Mid & Small. Notre quarantaine de valeurs affiche ainsi un P/CF moyen de 10 contre 13,5x pour l’indice d’après IDmidcaps. On retrouve le même type de décote si l’on regarde le PER. Le rendement moyen du portefeuille est également supérieur à celui de notre indice.

Au critère de la décote nous ajoutons celui de la rentabilité des fonds propres ou des capitaux employés, ce qui donne à peu près les mêmes résultats. Cela exclut de facto les sociétés en perte, ‘deep value’, celles qui décotent le plus par rapport à leurs fonds propres. Nous évitons ces sociétés, souvent en décroissance. Nous ne faisons pas du retournement ou de la recherche de décote de holding. Ces stratégies peuvent très bien fonctionner et il serait intéressant de s’intéresser aux sociétés ayant un ratio de capitalisation boursière / chiffres d’affaires des plus bas.  Des études montrent que cela donne également de bons résultats. C’est cependant un exercice difficile et je reste marqué par le cas Antalis dont la décroissance entraînait un cercle vicieux avec des coûts fixes impossible à ajuster en conséquence compte tenu du coût des licenciements. Ce qui fait que nous n’avons qu’une société attendue en pertes en 2020 dans le portefeuille, Plastivaloire, et encore car son exercice en cours a déjà commencé en octobre et sera bénéficiaire ! Pour ce qui est d’Albioma, nous allégeons depuis septembre 2019, mais la valeur ayant doublé depuis, elle a gardé un poids important dans le fonds. Aujourd’hui, à 26x le RN 2020 attendu, elle est relativement chère et nous avons significativement allégé la position ce mois-ci.

Quand nous achetons un titre c’est parce qu’il est décoté, mais le but est de rester actionnaire le plus longtemps possible pour profiter un maximum des excès du marché. Nous avons toujours veillé à ne pas vendre trop tôt pour profiter du momentum : l’idéal est de vendre ses derniers titres aux investisseurs poétiques qui croient en un avenir radieux et oublient que la concurrence ou l’obsolescence finissent toujours par peser sur les marges ! Pour être tout à fait honnête, compte tenu du manque d’appétence pour les sociétés décotées ces derniers temps, nous avons un peu plus goûté à la croissance que d’ordinaire !"

Les valeurs décotées ont surperformé les valeurs de croissance ces dernières semaines. Est-ce un phénomène durable après une décennie de sous-performance ?

"C’est difficile à dire et cela ne fait qu’un peu plus d’un mois que l’on observe une rotation value/growth, avec un rebond d’autant plus violent que les sociétés sont attendues en fortes pertes en 2020. S’agissant de la sous-performance de la value depuis 10 ans, je ne suis pas sûr que la value hors sociétés banques ait été si sous-performante qu’on ne le dit. D’ailleurs nous surperformons largement sur les 10 dernières années. Pour moi, c’est surtout de mai 2018 à février 2020 que la value n’a pas du tout fonctionné et que nous avons sous-performé : les sociétés les moins chères étaient de moins en moins chères et inversement. Les VE/REX les plus élevés ont battu le marché sur cette période. Cette période semble terminée et nous commençons à être davantage value que nous l’avions été depuis le début de l’année. Sans pour autant croire qu’il existe une corrélation stable entre le cycle value/croissance et le cycle économique qu’aucune étude sérieuse n’a démontré. De même, nous restons 100% investis car il est impossible de prévoir les évolutions du marché."

Votre fonds fait la part belle aux valeurs familiales. Qu’ont-elles de plus que les autres ?

"Nous avons il est vrai toujours eu 70% à 80% de valeurs familiales. On vante leur vision à plus long terme, ce qui est vrai. J’ajouterais qu’elles sont davantage concentrées sur la gestion et moins sur leur communication financière, considérant que le cours de Bourse finit toujours par suivre plus ou moins l’évolution des résultats, à juste titre. Le discours de leur management est moins vendeur, ce qui permet d’investir dans de meilleures conditions de prix. De plus, ils savent qu’ils seront là dans 4 ans. Leur intéressement n’est pas lié à l’évolution du cours de Bourse et ils savent bien que s’ils font des promesses qu’ils ne tiennent pas, les actionnaires seront désagréables et ils préfèrent l’éviter."

Les critères extra-financiers prennent une importance croissante et bousculent les directions des PME cotées. Quelle place leur donne-t-on chez Indépendance & Expansion ?

"Je veux bien croire que cela donne beaucoup de travail aux directions. Nous avons adopté cette démarche assez incontournable même pour les fonds de petites valeurs parce que nous pensons que cela améliorera nos performances, ne serait-ce que parce que cela nous oblige à lire très attentivement les documents de référence ce qui reste le meilleur moyen de connaître une société. Nous internalisons cette démarche car les sociétés de notation ont du mal à lire les rapports annuels mais pas totalement car le recours à une agence de notation rassure."

Les transferts sur Euronext Growth, moins contraignant en matière de reporting, se multiplient parmi les PME et ETI cotées à Paris. Qu’en pensez-vous ?

"Pour moi cela traduit surtout un échec, les sociétés qui ont crû depuis leur introduction restent sur le marché officiel. En dehors de la France les fonds UCITS ne peuvent consacrer plus de 10 % de leurs actifs aux marché non réglementés (ratio poubelle) donc la plupart des gérants européens évitent cette classe d’actif. Le marché réglementé protège les minoritaires et ce n’est pas du luxe. La cotation sur Euronext Growth n’est pas rédhibitoire pour nous mais justifie une décote de l’ordre de 20% car l’information est moins complète, moins régulière et il est difficile de croire qu’une petite société cotée ne dispose pas du montant de son chiffre d’affaires mensuellement. S’il n’est pas rendu public, ceux qui en disposent peuvent en tirer profit au détriment des autres investisseurs. La publication des chiffres d’affaires trimestriels nous semble donc être une exigence minimum. Surtout, quand une société est cotée sur Euronext Growth, on peut en prendre le contrôle de façon rampante, sans en payer le prix. Une offre publique devrait donc être proposée aux minoritaires lors d’un transfert sur ce marché non réglementé qu’est Euronext Growth."

Quels ont été les mouvements récents opérés dans les fonds de la maison ?

"Avec les liquidités dégagées sur notre allégement en Albioma, nous avons acheté Vicat, cimentier très diversifié géographiquement qui s’en tire bien cette année, grâce à l’Inde notamment. Leurs perspectives aux Etats-Unis sont favorables puisqu’ils vont y investir 300 M€. Le niveau de ROE et la qualité des fondamentaux justifient plutôt un PER de 15 que de 10. Nous avons également renforcé Savencia qui est injustement délaissée à 7x les résultats alors que cet industriel du fromage a très bien traversé le confinement. Enfin, nous avons récemment renforcé Groupe LDLC car sur internet leur part de marché après le rachat de leurs concurrents s’est accrue, ce qui est favorable aux marges."