Une contradiction rendue possible par l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Entre deux tweets et une partie de golf, le fantasque 45ème président des Etats-Unis n’a en effet pas encouragé les flux entrants de capitaux. Comportement imprévisible, décret anti-immigration, politique ouvertement protectionniste (retrait du traité Transpacifique, renégociation du traité ALENA), position embarrassante sur le climat (retrait de l’accord de Paris), soupçons d’ingérence russe dans la campagne présidentielle, démissions en cascade, tensions avec la Corée du Nord, échecs au Congrès (Obamacare) ne sont qu’un florilège du bilan du milliardaire. De quoi alimenter largement la défiance des investisseurs à l’égard de la première économie mondiale. Même la réforme fiscale, qui vient finalement d’être adoptée à Washington, n’a pas permis de soutenir le Dollar. Une aubaine pour la FED qui, dans un contexte de croissance forte et de plein emploi, a pu accélérer son processus de normalisation sans crainte de voir flamber sa monnaie, un effet collatéral qui aurait pu handicaper la balance commerciale américaine et pénaliser la reprise.
 
Pourtant, malgré un raffermissement manifeste de la croissance mondiale, les homologues de l’institution américaine ne se sont pas bousculées pour lui emboiter le pas. A l’exception de la Banque du Canada, à l’origine de deux hausses de taux au cours de l’été, aucune autorité monétaire n’a ouvertement choisi de s’orienter sur la voie de la normalisation à ce stade.
 
En Europe, la BCE s’inquiète du niveau de l’inflation qui évolue toujours sous son objectif (inférieur mais proche de 2%). Celle-ci a pourtant durablement pris ses distances avec la zone rouge, Mario Draghi concédant lui-même l’éloignement du risque déflationniste. Mais cela n’a pas empêché le Conseil des gouverneurs de maintenir son taux de refinancement à zéro, et même de prolonger dans le temps son programme d’assouplissement quantitatif dans ce qui s’apparente davantage à un contrôle du taux de change. Pourtant si la croissance et l’emploi conservent une trajectoire positive dans l’Union monétaire à l’avenir, Francfort ne pourra pas continuer à jouer la montre sans risquer la surchauffe induite par ces quantités d’argent gratuit. La BCE devra donc être habile dans sa rhétorique pour se dégager de ses mesures exceptionnelles de soutien sans propulser la monnaie unique dans des zones pénalisantes pour une économie encore fragile. L’Euro devrait toutefois valoir un peu plus cher à l’avenir et rallier 1.25 pour la première fois depuis fin 2014.
 
De l’autre côté de la Manche, la Livre évolue essentiellement au rythme des développements autour du Brexit, sur lesquels la Banque d’Angleterre n’a pas la moindre influence. Alors qu’elle avait abaissé son taux directeur à un point bas historique (0.25%) suite au référendum, histoire d’anticiper les problèmes, la BoE l’a de nouveau relevé d’un quart de point au mois de novembre pour contrer une inflation galopante provoquée par la baisse de la Livre. Mais cela s’apparente davantage à un simple réajustement qu’à l’entame d’un cycle de normalisation alors que l’institution affronte une situation très inconfortable, tiraillée entre les risques majeurs du Brexit pour la croissance et l’emploi (qui plaident pour un coût de l’argent plus faible) et une inflation forte (qui suggère un resserrement monétaire). A la table des négociations, après s’être péniblement accordés sur les trois sujets de la première phase des négociations (coût de la séparation, immigration et Irlande), Londres et Bruxelles vont démarrer de nouvelles tractations, portant cette fois sur les futures relations commerciales entre les deux parties. Elles s’annoncent encore plus tendues. Tandis que le dilemme des argentiers de la monarchie n’est donc pas prêt de s’arranger, nous sommes plutôt pessimistes quant à l’évolution du Sterling en 2018 alors qu’il pourrait atteindre pour la première fois un cours paritaire avec l‘Euro.
 
En Suisse, la BNS, toujours soucieuse de la cherté de sa devise, maintient un taux négatif depuis trois ans (-0.5% puis -0.75% depuis le 15/01/2015 et l’abandon du cours plancher sur EUR/CHF) et n’a jamais nié continuer de façon ponctuelle ses interventions sur le marché. Malgré le net repli du Franc face à l’Euro depuis le printemps dernier, la banque centrale estime que si sa surévaluation s’est atténuée, la devise helvétique s’inscrit toujours à un niveau élevé. En 2018, l’institution devrait donc rester vigilante au prix de sa monnaie, dont la vigueur pénalise les exportations, la Suisse étant un petit pays très dépendant de son commerce extérieur. L’Euro devrait ainsi rallier 1.20 CHF et consolider. Seule raison qui pourrait faire progresser le Franc dans les mois qui viennent : un retour durable de l’aversion au risque sur les marchés et un regain d’appétit des investisseurs pour la sécurité, parfaitement incarnée sur les changes par la devise suisse.
 
Au Japon, le Yen, une autre valeur refuge traditionnelle, peine à progresser, pressé à la baisse par des taux négatifs et de massives injections de liquidité de la banque centrale. Si les opérateurs commencent à observer des signes positifs en matière de croissance et d’inflation, la BoJ, sous la houlette du Premier ministre Shnzo Abe, fraîchement conforté dans les urnes, n’a pas l’intention de lever le pied l’an prochain. Le Dollar pourrait évoluer dans une fourchette comprise entre 115 et 125 JPY. Comme pour le Franc, seule une glissade franche de l’indice tokyoïte, au plus haut depuis 1996, provoquerait des arbitrages en faveur de la monnaie nipponne.
 
En Australie, si la banque centrale a jusqu’ici opté pour la prudence, maintenant son taux directeur à son plus bas historique depuis Août 2016 par peur de peser sur la reprise en resserrant sa politique de manière prématurée, l’étau se resserre petit à petit sur la RBA. En dépit d‘une inflation qui peine à s’accrocher à la fourchette basse de la cible de l’institution (+1.8% sur un an pour un objectif de 2 à 3%), le ton moins protectionniste de l’institution semble évoluer vers plus de sérénité. Une impression confortée par le dernier pointage en matière de croissance, laquelle enregistre une progression de 2.8% sur un an au troisième trimestre tandis que l’Australie s’apprête à signer une 26ème année consécutive sans récession. Sauf une secousse sur les marchés boursiers qui affecterait le baromètre de l’appétit du risque, nous anticipons une action de la RBA en 2018 et un retour de la devise au-delà de 0.80 USD.
 
En Nouvelle-Zélande, petite île hyper-dépendante de sa balance commerciale, on s’efforce traditionnellement de presser sa monnaie à la baisse. Alors si le Kiwi parvient à terminer l’année proche de l’équilibre face au billet vert, il pourrait souffrir nettement plus en 2018. D’abord le contexte politique et la nouvelle coalition au pouvoir entre travaillistes, nationalistes et écologistes, semblable à ce que pourrait être une équipe Hollande/Le Pen/Mamère en France, n’attire pas franchement les capitaux étrangers. Ensuite la nomination d’un nouveau gouverneur à la tête de la banque centrale et le potentiel élargissement de son mandat vers plus de stimulation pour l’emploi ne devrait pas encourager la RBNZ à migrer vers une attitude plus restrictive. Par conséquent, nous ne voyons pas de hausse de taux en Nouvelle-Zélande en 2018, comme nous n’imaginons pas le Dollar local rivaliser avec ses concurrents. Notre scénario privilégié : un retour vers 0.67 USD.
 
Le Canada est donc bien seul à avoir imité la FED cette année. Après avoir constaté l’impact de deux hausses de taux successives sur le cours du Loonie, la BoC a néanmoins décidé de marquer une pause, sans pour autant cacher ses intentions à l’approche des échéances suivantes. Tous les voyants sont au vert en Amérique du Nord où s’additionnent la solidité des indicateurs, la hausse des cours du pétrole et l’excellente santé de l’Oncle Sam, le premier client d’Ottawa. En 2018, nous visons 1.20 CAD pour 1 USD.
 
Conséquence directe pour le Dollar américain, même si la FED prévoit trois nouvelles hausses de taux en 2018 en dépit de tensions modérées sur les prix, Jerome Powell prendra dès février la tête de l’institution dans des conditions très favorables. D’une part, Donald Trump sera toujours là. D’autre part, les principales banques centrales ne pourront pas différer indéfiniment une sortie progressive de leur politique expansionniste, laissant une marge de manœuvre confortable à Washington pour poursuivre son cycle de resserrement monétaire sans risquer de provoquer une surévaluation du Dollar. Comme dans le cas du Yen ou du Franc, le billet vert s’apprécierait en revanche brusquement dans le cas d’importants dégagements sur les indices boursiers, dont le bon sens nous pousse à penser qu’ils ne pourront pas enregistrer chaque année des taux de croissance à deux chiffres.
 
Enfin, 2018 pourrait être une année difficile pour le Bitcoin. Après que sa valeur a été multiplié par plus de 20 entre le 1er janvier et le début du mois de décembre, accélérant sa trajectoire dans la perspective du lancement de contrats futures par les bourses de Chicago, la monnaie virtuelle se replie déjà de près de 40% en quelques séances. Comme de nombreux Etats étudient la possibilité de se moderniser par le recours à une telle technologie, projetant à leur tour la création d’une cryptomonnaie moins opaque et mieux régulée, le Bitcoin pourrait ainsi subir la loi d’une concurrence plus cadrée avant de retourner là d‘où il vient, dans les tréfonds du deepweb. Quant à savoir si un crash pourrait déstabiliser l’économie, Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, rappelle que la capitalisation de l’ensemble des crypto ne représente que la moitié de celle d’Apple. Par ailleurs, comme les banques sont massivement restées à l’écart de ces produits et comme il est peu probable que des investisseurs se soient endettés pour en acquérir, le système bancaire semble tout à fait protégé d’un tel scénario.