Le boom des ventes en ligne de produits de luxe pousse enfin les fabricants de montres haut de gamme, longtemps sceptiques ou réticents, à augmenter leurs investissements dans le e-commerce.

Internet est déjà un puissant accélérateur de ventes pour le prêt-à-porter et les accessoires de luxe, et les horlogers ont désormais compris l'intérêt du digital pour séduire une clientèle plus jeune.

"On n'avait pas réalisé la vitesse à laquelle les 'millennials' se mettraient à acheter des voitures ou des montres en ligne", a déclaré Jean-Claude Biver, patron du pôle horloger du groupe LVMH, lors d'une interview à Reuters l'occasion du salon de l'horlogerie de Bâle.

Tag Heuer, marque de LVMH longtemps associée au sport automobile, dispose déjà de sites marchands dans cinq pays, dont les Etats-Unis et le Royaume-Uni, espère en ouvrir davantage au cours des 18 prochains mois. Elle a aussi un partenariat en Chine avec le site JD.com,

Hublot et Zenith, autres marques du groupe français, devraient lui emboîter le pas.

Beaucoup de marques flirtent avec le e-commerce, le plus souvent par le biais de collaborations ponctuelles avec des distributeurs multimarques.

Mais l'appétit des consommateurs asiatiques pour le e-commerce les oblige à aller plus loin. Selon le cabinet de conseil DLG, la Chine a devancé les Etats-Unis en 2017 comme première source de trafic pour les sites de montres de luxe.

Les fabricants ont en outre tout intérêt à contrôler leur image face à la prolifération de sites sur le marché gris.

"Il y a encore trop de sites qui offrent des montres provenant du marché gris. Nous, nous voulons rassurer en prenant en compte le fait que les clients aiment aussi acheter leur montre le soir en buvant un verre de vin chez eux", commente Jérôme Biard, dirigeant de la marque Corum, propriété du groupe chinois Citychamp.

La première boutique en ligne de Corum sera pleinement opérationnelle dans deux mois, a-t-il ajouté.

PAS DE TABOU

Certaines marques continuent de résister, comme Chanel qui boude le e-commerce ou Rolex, contrôlé par une fondation privée, qui n'a pas non plus de projet connu en la matière.

Mais d'autres mettent les bouchées doubles en pariant sur une accélération de leur croissance. Richemont, propriétaire de Cartier et de Baume & Mercier, va débourser jusqu'à 2,8 milliards d'euros pour prendre le contrôle du site de vente multimarques Yoox-Net-a-Porter et d'en faire son principal vecteur de développement sur le web.

"L'achat en ligne n'est plus un tabou", déclare Anish Bhatt, le blogueur aux 1,7 million de "followers" sur Instagram qui conseille des marques comme Rolex ou Chopard pour leurs campagnes sur les réseaux sociaux.

Les marques Oris, Breitling (contrôlé par le fonds CVC) ou RJ (anciennement Romain Jerome) ont eux aussi confirmé des projets de développement en ligne.

L'Italien Bulgari (LVMH), dispose déjà de sites marchands aux Etats-Unis, en Chine, au Japon et au Royaume-Uni, et compte couvrir l'ensemble du marché européen avant la fin de l'année.

Mais ce canal de distribution présente des limites, reconnaît son directeur général Jean-Christophe Babin. "Il y a des ajustements qui nécessitent un passage en boutique", dit-il.

Bulgari ne propose pas sur internet des montres de plus de 30.000 ou 40.000 euros.

Ces réserves peuvent toutefois évoluer. Mr Porter, sur Yoox Net-A-Porter, a proposé à la vente cette semaine une montre à 480.000 dollars, une pièce en saphir du français Bell & Ross, son produit le plus cher à ce jour.

Les ventes sur internet devraient représenter le quart du total des ventes de produits de luxe d'ici 2025, contre 9% environ l'an dernier, estime le cabinet Bain & Co.

(Véronique Tison pour le service français, édité par Pascale Denis)

par Sarah White et Silke Koltrowitz