Cour de justice de l'Union européenne

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 121/17

Luxembourg, le 14 novembre 2017

Presse et Information

Arrêt dans l'affaire C-165/16 Toufik Lounes/Secretary of State for the Home Department

Un ressortissant d'un État non UE, membre de la famille d'un citoyen de l'Union, peut bénéficier d'un droit de séjour dans l'État membre dans lequel ce citoyen a séjourné avant d'en acquérir la nationalité en sus de sa nationalité d'origine

Les conditions d'octroi de ce droit de séjour ne doivent pas être plus strictes que celles prévues par la directive sur le droit de libre circulation des citoyens de l'Union

M. Toufik Lounes, de nationalité algérienne, est entré au Royaume-Uni en 2010 avec un visa de visiteur d'une durée de six mois. Par la suite, il est resté illégalement sur le territoire britannique. Mme Ormazabal, une ressortissante espagnole, s'est rendue au Royaume-Uni en tant qu'étudiante en 1996. Elle y travaille à plein temps depuis 2004 et y séjourne. Elle a acquis la citoyenneté britannique par naturalisation en 2009, en sus de sa nationalité espagnole.

En 2014, M. Lounes et Mme Ormazabal se sont mariés. À la suite de ce mariage, M. Lounes a demandé l'octroi d'une carte de séjour au Royaume-Uni en tant que membre de la famille d'un ressortissant de l'Espace économ iq ue eur opéen (EEE).

Par lettre du 22 mai 2014, le ministre britannique de l'Intérieur a informé M. Lounes que cette demande était rejetée. Cette lettre indiquait que, selon la loi britannique transposant la directive sur le droit de libre circulation des citoyens de l'Union1, Mme Ormazabal n'était plus considérée comme une « ressortissante de l'EEE » depuis qu'elle avait acquis la citoyenneté britannique. M. Lounes ne pouvait dès lors pas prétendre à une carte de séjour en tant que membre de la famille d'un ressortissant de l'EEE.

M. Lounes a introduit un recours contre la décision du 22 mai 2014 devant la High Court of Justice (England and Wales) (Haute Cour de justice, Angleterre et pays de Galles). Ayant des doutes sur la compatibilité de cette décision et de la législation britannique avec le droit de l'Union, cette juridiction a saisi la Cour de justice de cette question.

Dans son arrêt de ce jour, tout d'abord, la Cour rappelle que la directive n'octroie aucun droit autonome aux membres de la famille d'un citoyen de l'Union qui sont ressortissants d'un État non UE, mais uniquement des droits dérivés de ceux dont jouit le citoyen de l'Union concerné du fait de l'exercice de sa liberté de circulation.

Ensuite, la Cour relève que, conformément à la directive, sont bénéficiaires des droits conférés par celle-ci les citoyens de l'Union qui se rendent ou séjournent dans un « État membre autre que celui dont [ils ont] la nationalité » ainsi que les membres de leur famille qui les accompagnent ou les rejoignent2. En outre, la Cour souligne que la directive, qui encadre les conditions d'exercice du droit des citoyens de l'Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, n'a pas vocation à régir le séjour des citoyens de l'Union dans l'État membre dont ils possèdent la nationalité dès lors que ceux-ci y jouissent d'un droit de séjour inconditionnel en vertu d'un principe de droit international. Par conséquent, la Cour considère que la directive régit

1 Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77).

2 Voir article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38.

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uniquement les conditions d'entrée et de séjour d'un citoyen de l'Union dans les États membres autres que celui dont il a la nationalité et qu'elle ne permet donc pas de fonder un droit de séjour dérivé en faveur des ressortissants d'un État non UE, membres de la famille d'un citoyen de l'Union, dans l'État membre dont celui-ci possède la nationalité.

Par conséquent, bien qu'il soit en l'occurrence constant que Mme Ormazabal a exercé sa liberté de circulation lorsqu'elle a quitté l'Espagne pour rejoindre le Royaume-Uni en 1996 et qu'elle avait la qualité de « bénéficiaire » de la directive jusqu'à ce qu'elle acquière la citoyenneté britannique, la Cour relève que Mme Ormazabal séjourne, depuis lors, dans l'un des États membres dont elle possède la nationalité et qu'elle y bénéficie, conformément au droit international, d'un droit de séjour inconditionnel.

La Cour juge donc que, depuis que Mme Ormazabal a acquis la citoyenneté britannique, la directive n'a plus vocation à réagir son séjour au Royaume-Uni et cette directive ne s'applique donc plus à sa situation. Cette conclusion n'est pas remise en cause par la circonstance que Mme Ormazabal a fait usage de sa liberté de circulation en se rendant et en séjournant au Royaume-Uni et qu'elle a conservé sa nationalité espagnole en plus de la citoyenneté britannique puisque, depuis l'acquisition de cette citoyenneté, Mme Ormazabal ne séjourne plus dans un « État membre autre que celui dont [elle] a la nationalité » au sens de la directive et ne relève donc plus de la notion de « bénéficiaire » de cette directive. En conséquence, son conjoint, M. Lounes, ne peut pas bénéficier d'un droit de séjour dérivé au Royaume-Uni sur le fondement de la directive.

Cependant, la Cour considère qu'il convient de déterminer si M. Lounes peut se voir reconnaître un droit de séjour dérivé dans cet État membre sur le fondement de l'article 21, paragraphe 1, TFUE qui prévoit que tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. À cet égard, elle rappelle qu'un ressortissant d'un État non UE, membre de la famille d'un citoyen de l'Union, peut, dans certains cas, bénéficier d'un droit de séjour dérivé en vertu de cette disposition lorsque l'octroi d'un tel droit est nécessaire afin d'assurer l'exercice effectif par le citoyen de l'Union concerné de sa liberté de circulation et des droits que ce citoyen tire de la disposition précitée.

La Cour juge que l'effet utile des droits conférés aux citoyens de l'Union par l'article 21, paragraphe 1, TFUE, en particulier celui de mener une vie familiale normale dans l'État membre d'accueil, en y bénéficiant de la présence, à leurs côtés, des membres de leur famille, exige qu'un citoyen, dans une situation telle que celle de Mme Ormazabal, puisse continuer à jouir de ce droit dans l'État membre d'accueil après avoir acquis la nationalité de cet État en plus de sa nationalité d'origine et, en particulier, puisse développer une vie de famille avec son conjoint ressortissant d'un État tiers, par l'octroi d'un droit de séjour dérivé à ce dernier.

À cet égard, la Cour considère que toute interprétation contraire, d'une part, aboutirait à traiter Mme Ormazabal de la même manière qu'un citoyen britannique n'ayant jamais quitté le Royaume- Uni, en faisant abstraction de la circonstance qu'elle a exercé sa liberté de circulation en s'installant dans cet État membre et qu'elle a conservé sa nationalité espagnole. D'autre part, considérer qu'un citoyen de l'Union, dans la situation de Mme Ormazabal, serait privé du droit de mener une vie familiale normale dans l'État membre d'accueil au motif qu'il a recherché, par la voie de la naturalisation dans cet État membre, une insertion plus poussée dans celui-ci, irait à l'encontre de la logique d'intégration progressive dans la société de l'État membre d'accueil favorisée par l'article 21, paragraphe 1, TFUE.

Par conséquent, la Cour considère qu'un ressortissant d'un État non UE, dans la situation de

M. Lounes, peut bénéficier d'un droit de séjour dérivé au Royaume-Uni sur le fondement de l'article 21, paragraphe 1, TFUE, dans des conditions qui ne doivent pas être plus strictes que celles prévues par la directive pour l'octroi d'un tel droit à un ressortissant d'un État non UE, membre de la famille d'un citoyen de l'Union, qui a exercé son droit de libre circulation en s'établissant dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité. RAPPEL: Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité d'un acte de l'Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème similaire.

Document non officiel à l'usage des médias, qui n'engage pas la Cour de justice.

Le texte intégral de l'arrêt est publié sur le site CURIA le jour du prononcé.

Contact presse: Gilles Despeux (+352) 4303 3205

Des images du prononcé de l'arrêt sont disponibles sur « Europe by Satellite » (+32) 2 2964106

La Sté CURIA - European Court of Justice a publié ce contenu, le 14 novembre 2017, et est seule responsable des informations qui y sont renfermées.
Les contenus ont été diffusés par Public non remaniés et non révisés, le14 novembre 2017 09:21:00 UTC.

Document originalhttps://curia.europa.eu/jcms/jcms/p1_578671/fr/

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